Nvidia et la Chine : l’autonomisation se rapproche.

Par Robin Rivaton

 

Les dernières semaines ont confirmé que Nvidia n’est plus seulement un champion des cartes graphiques, mais un acteur coincé dans une guerre d’usure géopolitique.

 

Le 15 juillet, le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, expliquait [1] sur CNBC que la Chine ne recevait jamais que le quatrième meilleur processeur de Nvidia. Pas l’A100 ni le H100, pas même leur successeur direct, mais le H20, une version affaiblie taillée sur mesure pour Pékin. « Nous ne leur vendons pas notre meilleur matériel, ni le deuxième, ni même le troisième », déclarait-il. La réaction de Pékin ne s’est pas fait attendre. Le 31 juillet, Nvidia a été convoqué par les régulateurs chinois [2], soupçonné d’intégrer des portes dérobées dans ses H20. Début août, un compte lié au média d’Etat CCTV [3] affirmait que ces puces « ni écologiques, ni avancées, ni sûres » n’étaient pas dignes de confiance. Quelques jours plus tard, Bloomberg révélait que le gouvernement chinois avait envoyé des instructions aux entreprises publiques et privées [4] pour éviter l’utilisation de ces processeurs dans des projets sensibles.

 

Côté américain, la pression s’est accentuée. Le 11 août, qu’un accord été conclu entre la Maison Blanche et Nvidia et AMD qui devraient reverser 15 % des revenus [5] de leurs ventes en Chine au gouvernement américain en échange d’autorisations d’exportation pour les H20. Le 13 août, Reuters [6] rapportait que des trackers avaient été trouvés dans des expéditions de Dell et Super Micro contenant des puces Nvidia et AMD, afin de vérifier qu’elles ne soient pas détournées.

 

Jensen Huang, PDG de Nvidia, a multiplié les allers-retours entre la Chine et les États-Unis pour défendre le dossier, jouant les diplomates dans une guerre technologique à haut risque. Mi-juillet il était invité à la cérémonie d'ouverture [7] de la troisième China International Supply Chain Expo et tressait des louanges à l’écosystème chinois de l’IA. Il s'agissait de sa troisième visite en Chine depuis le début de l'année.

 

Finalement fin août, Nvidia aurait demandé à ses sous-traitants de cesser la production [8] de la puce H20 et aurait présenté à l’administration américaine un nouveau modèle, dit B30A [9], basé sur l'architecture Blackwell, trois fois plus performant que les H20 mais avec des performances réduites de 30 à 50 % par rapport à sa puce de dernière génération. Début octobre 2025 lors d'un événement organisé par Citadel Securities à New York, Jensen Huang a déclaré, contrarié, que la part de marché de Nvidia en Chine était passée de 95 % à 0 %.

 

Au milieu de ce bras de fer, l’histoire de DeepSeek illustre les contradictions chinoises. La start-up avait été incitée par Pékin à entraîner son modèle R2 sur les puces Ascend de Huawei plutôt que sur Nvidia. Résultat : difficultés techniques répétées, délais [10] et finalement un compromis bancal. Néanmoins, le 21 août, l’entreprise a annoncé que son modèle V3.1 avait été entraîné avec le format UE8M0 FP8 scale, un standard maison. Cet événement a été largement célébré dans l’écosystème chinois. UE8M0 FP8 [11] est un format numérique 8 bits conçu pour réduire mémoire et coût de calcul lors de l’entraînement de modèles d’IA. Variante du FP8 classique, il marque surtout une tentative de standardisation : plusieurs fabricants chinois de GPU, 910D de Huawei et Siyuan 690 de Cambricon, l’adoptent nativement.

 

En s’imposant comme alternative au format FP8 E4M3/E5M2 de Nvidia, UE8M0 concurrence directement son écosystème propriétaire. En effet, Nvidia ne domine pas uniquement par ses puces, mais par la couche logiciel propriétaire qui s’y greffe. CUDA (Compute Unified Device Architecture) est devenu un standard de fait pour le calcul parallèle. Sur CUDA s’empilent cuDNN (Deep Neural Network primitives) et TensorRT (optimisation/inférence).
Cambricon, le Nvidia chinois, fournit un environnement logiciel NeuWare, qui est censé jouer un rôle similaire à CUDA/cuDNN, mais reste moins mature. Or la société a publié fin août un profit record de 140 millions de dollars [12] au premier semestre 2025. Son cours a été multiplié par 5 en un an et elle vient de lever 700 millions de dollars. Bien que Cambricon ne détienne encore que 3 % du marché domestique, son parcours symbolise la réussite d’une stratégie de rébellion technologique portée par l’État et les startups. Et inspire. Quatre petits fabricants de puces d'IA, dont Biren et MetaX, cherchent à entrer en bourse avant la fin de l’année.

 

[1] https://www.cnbc.com/2025/07/15/howard-lutnick-says-china-is-only-getting-nvidias-4th-best-ai-chip.html

 

[2] https://www.globaltimes.cn/page/202508/1341630.shtml

 

[3] https://www.scmp.com/tech/tech-war/article/3321411/nvidias-h20-chips-face-growing-chinese-distrust-over-alleged-back-doors-15-revenue-deal

 

[4] https://www.reuters.com/world/china/china-cautions-tech-firms-over-nvidia-h20-ai-chip-purchases-sources-say-2025-08-12/#:~:text=Earlier%20on%20Tuesday%2C%20Bloomberg%20News,particularly%20for%20government%2Drelated%20purposes.

 

[5] https://www.bbc.com/news/articles/cvgvvnx8y19o

 

[6] https://www.reuters.com/world/china/us-embeds-trackers-ai-chip-shipments-catch-diversions-china-sources-say-2025-08-13/

 

[7] https://english.cctv.com/2025/07/16/VIDE5Kzt1L9IlsQDs6pLezho250716.shtml

 

[8] https://www.theinformation.com/articles/nvidia-orders-halt-h20-production-china-directive-purchases

 

[9] https://www.wsj.com/livecoverage/stock-market-today-jackson-hole-jerome-powell-08-22-2025/card/yBQAaRuu4NcpXJRVDQX6

 

[10] https://www.ft.com/content/eb984646-6320-4bfe-a78d-a1da2274b092

 

[11] https://eu.36kr.com/en/p/3433365413318016

 

[12] https://techwireasia.com/2025/08/cambricon-technologies-record-profit-china-ai-chip-revolution/

 

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Robin Rivaton est le PDG de Stonal, une entreprise technologique créée il y a six ans et qui compte 150 employés. Stonal transforme le secteur immobilier grâce à sa plateforme de gestion de données de pointe, alimentée par l'intelligence artificielle, et a réussi à lever un total de 120 millions d'euros de fonds. Avant de rejoindre Stonal, Robin était investisseur chez Eurazeo, où il se concentrait sur les start-ups spécialisées dans les villes intelligentes et la proptech. Il est également le fondateur de Real Estech, un think tank de premier plan dans le secteur immobilier, qui publie une newsletter hebdomadaire suivie par 25 000 lecteurs. Outre son rôle chez Stonal, Robin est administrateur indépendant au sein des conseils d'administration de plusieurs promoteurs immobiliers et sociétés d'investissement immobilier cotées (SICTIV). Auteur de huit ouvrages sur la technologie et l'immobilier, il contribue en tant que chroniqueur aux journaux L'Express et Les Echos. Robin a précédemment travaillé comme conseiller économique auprès de personnalités telles que Bruno Le Maire, ancien ministre français de l'Économie, et Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France.

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