Entretien Nouveaux Regards avec HAO Pei-Chih

Coopération, sécurité et innovation : un nouvel élan pour les relations franco-taïwanaises.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Vous avez succédé à François Wu dans vos nouvelles fonctions de Représentante du Bureau de Représentation de Taipei en France. S'agit-il de votre première expérience professionnelle ou résidentielle en France ? Quelle a été votre première impression après votre prise de fonction ?

 

J’ai en effet succédé à M. (François) WU Zhizhong le 1er septembre 2024 au poste de représentante du Bureau de Représentation de Taipei en France. En fait, j'ai une longue histoire commune avec la France. De 1996 à 2003, j'y ai suivi une formation universitaire pour y obtenir un doctorat en science politique à l'Université Paris I. Je pense que la perception française de Taïwan a considérablement évolué par rapport à l’époque où j’étais étudiante. C'était la première fois que je revenais en France après une si longue absence.

 

Lorsque j'y ai pris mes nouvelles fonctions, j’ai tout de suite constaté un changement très important de l'image que Taïwan renvoyait en France. Taïwan jouit aujourd’hui d'une très grande visibilité dans la société française, d’une image très positive. Je pense qu’une grande partie des Français sont désormais conscients de la relation particulière qui existe entre Taïwan et la Chine.

 

Le niveau des échanges entre Taïwan et la France est aujourd’hui très élevé, de nombreuses nouvelles interactions ont été développées de diverses manières, que ce soit dans le domaine politique, des échanges scientifiques et technologiques, économiques, culturels, etc.

 

Je pense qu'il y a deux raisons principales à cela. La première est la force de Taïwan dans son ensemble. Au moment de la pandémie de covid-19, je pense que le monde entier a pu faire le constat des capacités médicales et technologiques uniques de Taïwan en la matière. La seconde, bien sûr plus évidente au cours de ces dernières années, tient à ce qui a trait aux relations géostratégiques entre Taïwan et la Chine. Il y a aussi le fait que Taïwan, en tant que pays doté d'une puissance technologique particulièrement importante dans l'industrie des semi-conducteurs et les industries de haute technologie, s'est affirmé comme une puissance technologique mondiale.

 

Après des changements aussi importants, je pense que Taïwan a été mieux perçue par les autorités françaises. Bien sûr, notre équipe au sein du Bureau de Représentation de Taipei en France, en particulier mon prédécesseur, Wu Zhizhong, ont joué un rôle important dans l’évolution très positive de nos relations.

 

Le ministère français des Affaires étrangères considère Taïwan comme un partenaire important de l'Europe et de la France, en particulier dans les domaines économiques, culturels et technologiques. Comment Taïwan perçoit-elle ses relations avec la France ? Selon vous, dans quels domaines les relations entre la France et Taïwan pourraient-elles être renforcées ?

 

Je tiens tout d’abord à remercier vivement les autorités françaises du fait qu’elles considèrent Taïwan comme un partenaire très important. Je pense que ce partenariat ne se limite pas aux domaines économiques et culturels, mais qu'il est global.

 

Quant à la manière dont Taïwan perçoit ses relations actuelles avec la France, je dirais, pour résumer de manière très simple, que l'image que Taïwan a de la France est que votre pays, en tant que grande puissance, est actuellement celui qui soutient le plus Taïwan parmi toutes les autres nations européennes.

 

C'est l'image que nous avons actuellement de la France à Taïwan, et je pense que cette image peut être résumée de la manière la plus claire qui soit par la visite en France en octobre 2024 de notre ancienne présidente, Mme TSAI Ing-wen. Il y a en particulier une photo qui a bouleversé toute la société taïwanaise, celle de notre présidente se tenant debout devant le musée du Louvre. Cette photo a eu un impact énorme sur toute la société taïwanaise. Pourquoi ? C'était la première fois qu'un de nos plus hauts dirigeants taïwanais, notre ancienne présidente, foulait le sol français. Le Louvre est l'un des monuments les plus représentatifs de la France. Que montre cette photo ? Elle montre que la France accorde un accueil chaleureux à Taïwan, que la France et Taïwan sont de très bons amis.

 

Je tiens à parler de cette photo, car elle met particulièrement en évidence l’état des relations entre Taïwan et la France au cours de ces dernières années, et répond à ce que je viens de dire, à savoir que Taïwan occupe une place très importante pour la France.

Je lui en suis reconnaissante et tiens pour cela à la remercier, car je pense que parmi toutes les grandes puissances européennes, c'est le pays qui soutient le plus Taïwan. Il y a bien sûr d'autres aspects très importants. Parmi ceux-ci, il y a la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 adoptée par votre pays et qui défend le droit à la circulation maritime dans l’Indo-pacifique, notamment en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan, afin de préserver la paix et la stabilité dans la région.

 

Plusieurs de vos bâtiments de guerre patrouillent dans cette zone importante pour préserver les intérêts importants de la France dans cette région. D’autres pays européens ont également introduit des projets de loi favorables à Taïwan et les chefs d'État français et de gouvernement britannique ont tous deux apporté à leur manière leur soutien à la paix dans le détroit de Taïwan.

 

Quelles sont vos attentes concernant les relations entre Taïwan et la France pour les années à venir ?

 

Nous espérons pouvoir renforcer à l'avenir notre coopération en matière de sécurité, de politique économique et de développement industriel. Dans ces domaines, je pense que Taïwan et la France peuvent construire une relation plus diversifiée et plus résiliente. Ainsi, à partir de ces trois axes, nous espérons pouvoir développer notre coopération dans les domaines de l'aérospatiale, de la défense, des semi-conducteurs, de l'intelligence artificielle, des communications et des industries vertes.

 

Je pense que nous pouvons renforcer notre coopération dans ces domaines, y compris dans le domaine des satellites et de l'espace. Nous espérons également que la France pourra pleinement jouer son rôle de grande puissance au sein des organisations internationales multilatérales qui revêtent une signification plus concrète pour nous, Taïwan. C'est aussi un domaine que nous espérons pouvoir renforcer à l'avenir.

 

La société française fait désormais clairement une distinction entre Taïwan et la Chine quant à l’image que renvoie chaque entité. Nous ne sommes plus dans la situation d'avant, où tout le monde en avait une vision assez floue. Sur le plan culturel, nous devons encore faire des efforts pour que la société française perçoive l'image unique de Taïwan dans son ensemble.

 

Oui, nous devons effectivement redoubler d'efforts, trouver de nouveaux discours et de nouvelles méthodes de présentation. Et aussi trouver la manière de présenter les éléments culturels qui font la singularité de Taïwan, qui la distinguent de la Chine.

 

Nous avons un projet d'investissement majeur en France. C'est le premier grand projet de ce type en Europe, voire dans le monde. Il s'agit de la production de batteries à semi-conducteurs par l’entreprise Prologium qui a investi dans ce projet à Dunkerque.

 

Il s'agit d'une entreprise taïwanaise dont la première usine à l'étranger a choisi de s’implanter en France. Les batteries liquides traditionnelles posent beaucoup de problèmes de sécurité et ont une durée de vie trop courte. De plus, elles ne peuvent pas être transportées en avion, car elles peuvent facilement être exposées à des températures extrêmes avec tous les risques que cela comporte. Ce nouveau type de batterie à semi-conducteurs ne pose pas ce problème. Elles peuvent être exposées à des conditions climatiques extrêmes, sans aucun problème. De plus, elles ont une longue durée de vie, une petite surface aussi fine que celle d'une carte postale.

 

Le deuxième projet de coopération s’inscrit dans le cadre du dernier sommet « Choose France » lancé par le président Macron et à l’occasion duquel le groupe taïwanais Foxconn avec ses partenaires français Thalès et Radiall ont annoncé un projet commun, celui de créer une capacité industrielle d’assemblage et de test de semi-conducteurs en France. Foxconn a, par ailleurs, signé un second accord portant sur les constellations de satellites et combinant ses capacités de fabrication avancée aux technologies spatiales de Thalès Alenia Space.

 

Il s’agira pour les deux constructeurs franco-taïwanais de développer conjointement une production en série de satellites de haute qualité et à forte valeur ajoutée, afin de fournir un contenu technologique de pointe pour leurs grands projets de constellations de satellites de télécommunications en orbite basse.

 

Lors d'un discours prononcé à Singapour dans le cadre du « Dialogue de Shangri-La », le président Macron a souligné l'interdépendance des environnements sécuritaires européen et asiatique, et a mis en parallèle la question de la guerre en Ukraine et les actions que la Chine pourrait entreprendre à l'encontre de Taïwan ou des Philippines. Le président Macron a également réaffirmé avec force la position de la France : rejeter fermement toute tentative de modifier unilatéralement le statu quo par la force. Quel écho cette déclaration a-t-elle eu à Taïwan ?

 

Je pense que tout d'abord elle a suscité un vif intérêt à Taïwan, et nous lui en sommes extrêmement reconnaissants de l’avoir faite. Je pense que le discours prononcé par le président Macron au dialogue de Shangri-La, à Singapour, comportait trois points importants.

 

Premièrement, c'était la première fois qu'un président français s'exprimait aussi clairement sur la sécurité dans la région Asie-Pacifique. Il a envoyé à ce sujet un message très clair et très fort. Deuxièmement, M. Macron a clairement établi un parallèle entre Taïwan et l'Ukraine, et ce parallèle signifie que Taïwan et l'Ukraine sont toutes deux des entités territoriales souveraines. Les pays démocratiques ne devraient pas être envahis ou menacés par d'autres pays de manière abusive, et cela est très important pour Taïwan. Troisième point, c'était aussi la première fois que le président français affirmait de manière claire et sans ambiguïté l'importance de la paix et de la stabilité dans la région Asie-Pacifique, en particulier en ce qui concerne la question du détroit de Taïwan. Il a également rejeté le recours à la force ou à d'autres moyens coercitifs pour modifier le statu quo.

 

Cela représente donc une nouvelle fois un soutien ferme du gouvernement français à la paix et à Taïwan. Ces trois éléments ont eu un énorme retentissement à Taïwan, car ils ont montré et réaffirmé que la France est le pays européen qui soutient le plus Taïwan. C'était la première fois que le président Macron, dans ses fonctions actuelles, exprimait de manière aussi claire et positive son soutien à la paix et à la stabilité dans la région indo-pacifique, en particulier dans le détroit de Taïwan. Nous lui en sommes très reconnaissants.

 

Quel message souhaitez-vous transmettre à nos lecteurs ?

 

Je pense qu'il faut poursuivre dans la même voie que précédemment. Nous avons vu que la France a mis en place un plan d’investissement « France 2030 » visant à développer sa compétitivité industrielle et les technologies d’avenir. Nous pensons que dans ces domaines, il existe un fort potentiel de coopération entre Taïwan et la France, qui permettrait de renforcer la résilience de nos démocraties, de nos industries clés et de nos économies.

 

Nous espérons vivement pouvoir établir avec la France une relation de partenariat fiable en matière de sécurité régionale, y compris en matière d’analyse et de partage d'informations.

 

Tout comme Taïwan, l'Europe est confrontée à de nombreux nouveaux défis, notamment en matière de sécurité. Je pense que Taïwan peut également jouer un rôle important en tant que partenaire de coopération, notamment en ce qui concerne les nouvelles cyberattaques, l'ingérence de puissances étrangères ou la désinformation.

 

La France souhaite que sa sécurité économique et son autonomie industrielle puissent être améliorées grâce à une chaîne d'approvisionnement plus diversifiée, plus autonome et plus résiliente. Dans une perspective économique, Taïwan peut justement jouer un rôle très important dans cette coopération, comme je l'ai mentionné tout à l'heure. Taïwan s’offre pour la France comme un partenaire fiable en matière de coopération, car Taïwan est un pays démocratique à la pointe de la technologie.

 

Comme je l'ai aussi dit tout à l'heure, cela inclut certains secteurs industriels stratégiques très importants. Nous pouvons améliorer notre coopération dans les industries stratégiques, notamment celles que je viens de mentionner, telles que l'industrie de la défense, l'industrie aérospatiale, l'industrie des communications, les semi-conducteurs, la technologie quantique, l'intelligence artificielle et les industries vertes. Je pense que nous pouvons renforcer notre coopération dans tous ces domaines à l'avenir.

 

La paix et la prospérité de la région Asie-Pacifique sont étroitement liées à la paix et à la prospérité de l'Europe. Dans ce contexte, Taïwan souhaite davantage coopérer avec les pays européens, et en particulier avec la France. Nous avons de grandes attentes et sommes prêts à établir une relation de coopération plus complète avec votre pays.

 

 

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Madame HAO Pei-Chih a pris ses fonctions de Représentante du Bureau de Taipei en France le 1er septembre 2024. Elle est titulaire d'une thèse de troisième cycle en science politique obtenue à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Précédemment, Mme HAO a occupé plusieurs postes dans la haute fonction publique ainsi que de professeure d'université à Taïwan (voir : roc-taiwan.org).

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