Le 6 novembre 2024, le vice-amiral (VADM) Hiroshi Egawa, commandant le Maritime Command and Staff College japonais, a été reçu à l’Assemblée Nationale par M. le Député Olivier Becht, avec le soutien et en présence de la France Japan Foundation. Après une introduction de M. Becht, le vice-amiral est intervenu sur le thème :« L’avenir des alliances navales mondiales : renforcer le partenariat pour la paix et la stabilité ».
Bonjour et merci pour cette aimable introduction M. le Député, ainsi que pour votre accueil chaleureux.
Je suis le Vice-Amiral Egawa, Président du Collège de Commandement et d'État-Major des Forces d'Autodéfense Maritimes du Japon. Je suis honoré d’avoir eu cette opportunité de m’entretenir lors d’une réunion séparée avec Monsieur Olivier Becht, ainsi qu’avec vous tous, acteurs impliqués dans les relations franco-japonaises. J’ai appris que la France Japan Foundation a été créée cette année et que son événement inaugural s’est tenu en juillet à l’Ambassade de France à Tokyo.
Je trouve remarquable que cette Fondation œuvre à la promotion des échanges entre la France et le Japon, en offrant une plateforme aux personnes engagées dans les relations franco-japonaises pour échanger des idées et renforcer les liens durables entre nos deux pays.
Les relations modernes entre le Japon et la France ont commencé avec le Traité d’amitié et de commerce signé en 1858. À l’époque, le Shogunat Tokugawa avait pris conscience du retard du Japon par rapport à la civilisation occidentale, et la défense maritime était une priorité nationale. Le Shogunat avait sollicité le soutien de la France pour construire une marine, et la France, généreusement, a accepté.
En 1865, l’ingénieur naval français François Léonce Verny est venu au Japon. C’est ainsi que la première base navale japonaise, comprenant des installations deconstruction navale, a été construite à Yokosuka. Le premier dock, construit par Verny il y a plus de 150 ans, est toujours opérationnel aujourd’hui, témoignant de la grande qualité de la technologie française et du leadership exceptionnel de Verny. Pour honorer ses réalisations, Yokosuka et Brest sont jumelées depuis 1970. Aujourd’hui, je souhaiterais vous parler de l’environnement de sécurité entourant le Japon, de ses initiatives pour renforcer ses capacités de défense et la sécurité régionale, ainsi que des coopérations entre le Japon et la France en matière de défense.
L’ordre international libre, ouvert et stable est aujourd’hui menacé par des défis sérieux dans un contexte de bouleversements historiques des équilibres de pouvoir et d’intensification des compétitions géopolitiques. Jusqu’à présent, les nations démocratiques avancées, y compris le Japon et la France, se sont consacrées à la défense des valeurs universelles telles que la liberté, la démocratie, le respect des droits fondamentaux et l’État de droit. Elles ont joué un rôle de leader dans la construction d’une société internationale fondée sur la coexistence et la coprospérité.
L’invasion russe de l’Ukraine nous a rappelé une fois de plus que la mondialisation et l’interdépendance ne suffisent pas, à elles seules, à garantir la paix dans le monde. Au cours des vingt dernières années, certains pays ont montré qu’ils ne partageaient pas ces valeurs universelles, ont étendu leur influence par des moyens militaires et non militaires, tentant de modifier unilatéralement le statu quo et de défier l’ordre international. Nous avons appris la difficulté de prédire avec précision le moment où un pays ou un dirigeant autoritaire pourrait envisager de menacer directement un autre pays, et mettre sa menace à exécution. En outre, nous ne pouvons ignorer les acteurs non étatiques.
Par exemple, la situation en mer Rouge, une voie de communication maritime essentielle, est menacée par des acteurs régionaux. L’ONU ne parvient pas à remplir pleinement ses fonctions, notamment en raison de la Russie, qui viole sans hésitation le droit international, bien qu’elle soit membre permanent du Conseil de sécurité. Je voudrais maintenant me concentrer sur la région Indopacifique, en particulier sur la situation de sécurité entourant le Japon. La région Indopacifique est le cœur du dynamisme économique mondial et abrite plus de la moitié de la population de la planète, produisant 60 % du PIB mondial. Le dynamisme de l’intersection des océans Pacifique et Indien constitue un moteur de croissance pour l’économie mondiale. Cependant, plusieurs acteurs possédant de grandes forces militaires, y compris des armes nucléaires, ne partagent pas les valeurs universelles.
Permettez-moi d’aborder trois cas notables : la Chine, la Corée du Nord et la Russie.
La Chine : Sous des objectifs nationaux tels que « la renaissance de la grande nation chinoise », la Chine développe rapidement et largement ses capacités militaires, y compris nucléaires et balistiques, sans transparence. Elle intensifie également ses tentatives de modifier unilatéralement le statu quo par la force en mer de Chine orientale et méridionale, ainsi que dans les espaces aériens. La Chine n’écarte pas l’idée d’utiliser la force militaire pour “l’unification” de Taïwan à son continent, ce qui pourrait donner lieu à une situation aussi grave que l’agression russe en Ukraine, notamment en Asie de l’Est.
La Corée du Nord : Elle a lancé à plusieurs reprises des missiles balistiques pour améliorer ses capacités, y compris des missiles intercontinentaux (ICBM) pouvant atteindre le territoire américain. La Corée du Nord cherche à renforcer rapidement ses capacités nucléaires en quantité et en qualité, posant ainsi une menace grave et imminente pour la sécurité du Japon.
La Russie : Elle n’hésite pas à recourir à la force militaire pour atteindre ses objectifs stratégiques. De plus, elle renforce sa coordination stratégique avec la Chine et la Corée du Nord, comme en témoignent ses exercices militaires conjoints à proximité du Japon. Ces défis placent l’environnement de sécurité du Japon au niveau le plus complexe et grave depuis la Seconde Guerre mondiale, comme l’indique notre dernière Stratégie de sécurité nationale qui a été publiée. La Stratégie de sécurité nationale du Japon décrit l’archipel japonais comme une ligne de front pour protéger l’ordre international fondé sur des règles et des valeurs universelles.
En 2023, l’Armée de l’Air japonaise (JASDF) a effectué 700 missions d’interception, dont 70 % visaient des avions militaires chinois et 30 % des aéronefs russes et nord-coréens. La Marine japonaise (JMSDF), quant à elle, reste constamment en mer pour patrouiller, défendre les eaux territoriales et protéger la population des lancements de missiles balistiques nord-coréens.
Par ailleurs, l’influence croissante de la Chine dans d’autres régions du monde reste préoccupante, notamment en raison de l’exploitation de la dépendance économique de certains pays que Pékin utilise pour exercer des pressions sur ces derniers. Face à cette situation de sécurité en constante évolution, le Japon a révisé sa Stratégie de sécurité nationale en 2022 et a adopté une nouvelle Stratégie de défense nationale en parallèle.
Le gouvernement japonais prévoit de :
- Doubler son budget de défense pour atteindre 2 % de son PIB d'ici 2027.
- Renforcer ses capacités opérationnelles multi-domaines.
- Développer des capacités de contre-attaque à longue portée, des systèmes autonomes, des capacités de défense antimissile balistique, ainsi que ses infrastructures de renseignement et de commandement.
Sur le plan diplomatique, le Japon travaille activement à la création d’un environnement de sécurité stable et prospère, notamment en approfondissant la coopération avec ses alliés et les pays partageant les mêmes valeurs, comme la France. Le Japon accorde une importance particulière à la région Indopacifique, qui constitue le moteur de l’économie mondiale. La préservation de l’ordre et du développement stable dans cette région a des répercussions importantes, non seulement pour les pays riverains, mais aussi pour leurs partenaires en Europe et ailleurs.
Dans cette perspective, la puissance maritime joue un rôle central. La région Indopacifique, composée d’îles et de vastes étendues maritimes, nécessite une surveillance et une protection maritimes rigoureuses. La France, en tant que nation Indopacifique, possède deux tiers de sa Zone Économique Exclusive (ZEE) dans cette région et y compte quelque deux millions de citoyens.
En raison de l’environnement sécuritaire complexe, la présence accrue de nations européennes amies dans l’Indopacifique, comme la France, envoie un message important pour maintenir la liberté et l’ordre de navigation en mer. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude pour l’engagement actif de la France dans la région Indopacifique et pour les exercices bilatéraux qui renforcent la coopération militaire entre nos deux pays. Le Japon, seul, ne peut relever tous les défis.
Bien que son allié principal, les États-Unis, joue un rôle clé, leur attention se voit divisée entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Indopacifique. Il est donc essentiel d’approfondir les partenariats avec des pays comme la France afin de garantir une sécurité maritime durable à long terme.
La présence française dans l’Indopacifique est également un message encourageant pour les petites nations insulaires et les pays côtiers confrontés à des pressions sécuritaires croissantes de la Chine.
Enfin, quelques mots sur la recherche et le développement (R&D) en matière de défense.
En visitant l’exposition Euronaval, j’ai remarqué les différences entre la coopération en matière d’équipements de défense avec les États-Unis et celle avec la France. Les systèmes français sont ouverts et uniques, contrairement aux « boîtes noires » américaines qui compliquent les réparations et ralentissent les opérations. Je vois ici de nombreuses opportunités de collaboration entre le Japon et l’Europe, notamment avec la France, pour accélérer les coopérations technologiques et sécuritaires. Je vais partager ces impressions à Tokyo et m’efforcer de renforcer les coopérations bilatérales dans ce domaine.
Merci beaucoup.
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Hiroshi Egawa
Le Vice-amiral Hiroshi Egawa, né en 1990 à Nagasaki, est diplômé du Collège médical de la Défense nationale avant de rejoindre les Forces maritimes d'autodéfense japonaises (JMSDF). Parmi ses fonctions clés, il a commandé l'escorteur Mineyuki, été attaché de défense aux États-Unis et dirigé la 5ᵉ flottille d’escorte. Depuis 2022, il préside le Collège de commandement et d’état-major des JMSDF, axant son action sur l’éducation stratégique et le leadership. Il a renforcé la sécurité maritime, notamment dans l’océan Indien et le golfe d’Aden, et œuvre pour la coopération internationale en prônant dialogue et transparence.