Entretien Nouveaux Regards avec Jérôme Chardon (YL France-Chine 2016)

Propos recueillis par Jean-Raphaël Peytregnet et Thomas Mulhaupt

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Comment s'organise la coopération de défense franco-japonaise dans ce contexte régional de tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis ?

 

Jérôme Chardon : La relation bilatérale est ancienne, parce que la France est une puissance globale et une nation du Pacifique, et elle ne s’est donc pas construite sur la montée des tensions régionales. Depuis la fin de la Guerre froide, nous avons avec le Japon comme avec l'ensemble des pays de la région une relation nourrie de partenariats, sans cibler aucun compétiteur en particulier. Depuis une dizaine d'années, nous observons effectivement une forte montée des tensions en mer de Chine méridionale, avec des remises en question du droit international de la mer qui nous amènent forcément à regarder de plus près ce qui se passe afin de contribuer au maintien de l’ordre international et de la liberté de navigation.

 

Le Japon a lui-même, depuis une dizaine d'années, décidé de faire évoluer sa politique de défense. Dans le respect de sa constitution pacifiste, Tokyo a peu à peu été amené à conduire une politique dissuasive en renforçant ses capacités de défense pour ne pas se retrouver en situation de vulnérabilité face à un compétiteur prêt à utiliser la force pour atteindre un certain nombre d'objectifs. La France a naturellement accompagné cette dynamique dans toutes ses composantes. Ainsi, pour ne prendre que des exemples récents, une frégate multi-missions (FREMM) s’est rendue au Japon pour la première fois en 2023, et une deuxième vient de passer un mois dans les approches immédiates de l’archipel à s’entraîner notamment avec la Force maritime d’autodéfense et l’allié commun américain. L’année dernière s’est opéré également le premier déploiement d'avions de chasse Rafale dans le cadre de la mission PEGASE. Cette projection de puissance a été rééditée cette année, à hauteur d’un groupe aérien de sept aéronefs, dans le cadre européen « Pacific Skies » (PEGASE restant la composante nationale) structuré avec l’Allemagne et l’Espagne. Pour ce qui est de l'armée de terre, nous suivons la même logique avec le premier exercice terrestre Brunet-Takamori qui a eu lieu en Nouvelle-Calédonie en septembre de l’année dernière, la deuxième édition se déroulant au Japon en septembre 2024.

 

Le renforcement de l’interopérabilité avec les forces américaines est essentiel pour progresser avec nos partenaires japonais. On avait jusqu’à présent de fortes habitudes de travail avec les États-Unis dans l’Atlantique, en Méditerranée, dans l'océan Indien, mais d'un niveau bien moindre d'un point de vue technique, dans le Pacifique. C’est ce que nous sommes en train de développer, cette interopérabilité entre les forces françaises et américaines dans le Pacifique. Du fait de l’importance des forces américaines stationnées au Japon, la relation de défense entre nos trois pays s’imbrique naturellement. Juste avant que nos avions ne se posent sur la base aérienne de Hyakuri, nous avons conduit un exercice de ravitaillement en vol qui impliquait la Force aérienne d'autodéfense japonaise, un ravitailleur français A330 MRTT, deux Rafales, ainsi que des avions de l'US Navy. Il y a là une adaptation de la relation franco-japonaise au durcissement de l'environnement régional et compte tenu du fait que le Japon est un pays affinitaire. Les exercices que nous conduisons ensemble ne sont jamais ciblés contre un adversaire en particulier.

 

En revanche, lorsqu’un pays de la région peut remettre en cause le droit international, nous réagissons de façon assez claire, mais sans rupture de dialogue. Le Japon se considère comme se situant en première ligne dans la zone Pacifique, et il définit clairement dans ses documents d'orientation stratégique trois pays qui nécessitent une attention particulière : la Corée du Nord, la Russie et la Chine.

 

Néanmoins, concernant ce dernier pays, la position officielle japonaise est comparable à celle de la France, reposant sur la conduite avec Pékin d’un dialogue constructif à chaque fois que les intérêts divergent. Il y a donc sur ce point une vraie proximité entre la politique française et japonaise vis à vis de la Chine, qui consiste à la fois à se montrer fermes sur l'aspect ordre international, le respect d'un certain nombre de règles communes et de principes fondamentaux, et en même temps reconnaître la Chine comme une puissance qui a toute sa place sur la scène internationale et qui peut être un partenaire économique ou encore sur les questions climatiques. C'est dans cet environnement là et avec cet état d'esprit de stabilité et de dialogue que se renforce la coopération de défense franco-japonaise.

 

Qu'en est-il de l'interopérabilité entre les forces françaises et japonaises, voire les forces américaines si elles sont associées, ainsi que les forces sud-coréennes si elles le sont également ?

 

Il existe une stratégie indopacifique de la France qui comporte un volet défense avec ces trois piliers que sont l'Australie, l’Inde et le Japon, incluant en plus notre plus ancien allié qui sont les États-Unis. Viennent en parallèle tous les pays d'Asie du Sud-Est avec lesquels nous entretenons aussi des relations anciennes que nous continuons d’approfondir. Avec le Japon, le développement de la relation de défense n'a de sens que si la valeur opérationnelle de cette relation augmente. Par conséquent, l'interopérabilité est la priorité. À cet effet, nous avons mis en place des cadres politiques et juridiques qui permettent de progresser. Le partenariat franco-japonais a été rehaussé au niveau de partenariat d'exception en 2013. Un accord d'échange de services s’est mis en place en 2018. Il permet à nos forces armées, lorsqu'elles travaillent ensemble sur le territoire japonais ou français, de mettre en œuvre des procédures allégées, comme pour l’achat de carburant, l'alimentation, etc. Par ailleurs, le 2 mai dernier lors de la rencontre entre le Président de la République, Emmanuel Macron et le Premier ministre Fumio Kishida à Paris, une négociation en vue d’un accord d'accès réciproque a été initiée. Nous construisons des structures qui permettront aux militaires des deux pays de planifier des entrainements dans lesquels les entraves procédurales, réglementaires ou juridiques se réduiront. Ensuite, il y a l'aspect technique. Il s'agit de mieux se connaître, de mieux savoir quelles sont les façons de faire des uns et des autres pour conduire des interactions. On apprend donc à mieux travailler ensemble. Pour cela, il faut aussi avoir une langue de travail commune, ce qui n’est pas évident. Pour pallier les problèmes linguistiques, des procédures standard d’opération doivent être définies. Il en existe certaines inspirées de celles de l'OTAN qui sont appliquées par les forces japonaises et sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Un autre aspect concerne la compatibilité des équipements.

 

En d’autres termes, une interopérabilité matérielle est recherchée, pour que les systèmes français et japonais puissent « se parler », notamment pour l’échange automatique de données tactiques. Chacun des deux partenaires évoluant sur le même théâtre d’opérations pourrait ainsi disposer de la même vision d’ensemble, avec une image plus large que s’il était seul et avec l’objectif ultime d’avoir toujours un cran d'avance par rapport à l'ennemi. Ensuite, la décision humaine peut être prise dans les meilleures conditions. C’est sur cet aspect très concret que nous travaillons. Le déploiement PEGASE de l'armée de l'air et de l’espace nous a par exemple permis de travailler sur les techniques de ravitaillement. Tout ce qui a été acquis pendant cet exercice-là servira pour aller encore plus loin au prochain exercice. Dans le domaine naval, la FREMM Lorraine s’est entraînée en 2023 avec une frégate japonaise pendant plusieurs jours ainsi qu’avec le destroyer porte-hélicoptères JS Izumo, en cours de transformation pour accueillir des avions de chasse américains à décollage vertical F-35.

 

Cette année, la FREMM Bretagne, qui est présente sur le théâtre Pacifique depuis début juin, a traversé cet océan avec une frégate japonaise, avant de participer à l'exercice RIMPAC organisé par le commandement américain dans le Pacifique. Il s’agit du plus grand exercice naval du monde, qui a lieu tous les deux ans. Cela nous a permis de travailler dans un environnement multilatéral qui favorise aussi l’intégration de notre interopérabilité dans un ensemble plus vaste s’apparentant à une force de coalition.

 

La France monte également des exercices en Indopacifique. « LAPEROUSE » réunit par exemple tous les ans, outre la France, l’Australie, les Etats-Unis, l’Inde et le Japon. Nous avons cette souplesse qui nous permet de travailler avec à peu près tout le monde – pas tout le monde - facilitée par la présence militaire française sur l'ensemble de l'Indopacifique. Les bases permanentes françaises sont implantées à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française – ce sont les forces de souveraineté -, ainsi qu’aux Émirats arabes unis et à Djibouti – ce sont les forces de présence. Ces bases permettent de travailler sur l’ensemble de cette vaste région, ce qui est unique pour un pays européen. Par exemple, tous les ans, un avion de surveillance maritime Falcon 50 basé à Tahiti se déploie un mois au Japon, à Okinawa, afin de contribuer aux efforts internationaux de surveillance de la Corée du Nord. L’équipage de cet avion cherche à collecter des preuves de contournement des sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations Unies, en traquant les transbordements illicites en mer. Ceux-ci concernent notamment le pétrole brut et le pétrole raffiné que Pyongyang veut importer au-delà des quotas dans le but de poursuivre son programme nucléaire et balistique.

 

Par ailleurs, depuis deux ans, c’est-à-dire depuis la fin de la pandémie de Covid, on constate une augmentation du nombre d'exercices dans la région avec énormément d'exercices multilatéraux, sous l’impulsion notamment des États-Unis qui souhaitent avec le Japon associer davantage de partenaires à leurs interactions bilatérales.

 

Comment fonctionne la structure de commandement lors de ces exercices conjoints qui peuvent impliquer trois, quatre, voire cinq nations ou plus ? Les forces sont-elles placées sous un commandement unifié, ou bien chaque pays conserve son propre commandement distinct ? Comment s'organise la coordination entre ces différentes forces armées durant les exercices ?

 

Avant de répondre à votre question, je voudrais rappeler que nous venons de passer d’une périodicité de 2 ans à 18 mois pour les réunions d’état-major interarmées (REM IA) franco-japonaises. Celles-ci réunissent des représentants de toutes les forces armées ou forces d'autodéfense, alternativement en France et au Japon. Un plan de coopération militaire y est signé après deux jours de discussions pour définir toutes les activités que nous souhaitons réaliser ensemble. La dernière REM IA s’est tenue à Paris les 27 et 28 mai et concernait notre coopération militaire pour la période 2024-2026. Sur la coopération interarmées, il y a ce que les Japonais appellent « les nouveaux domaines », c'est à dire le cyber, l'espace et tout ce qui va être lié au domaine électromagnétique. On peut avoir une armée pilote pour ces questions-là. Par exemple, l'espace est un domaine interarmées qui est sous le commandement en France de l'Armée de l'air et de l'espace. Les Japonais sont en train de se structurer, de mettre en place leur propre commandement de l'espace. Ils disposent d’un proto-commandement de l'espace qui porte le nom de "space operation group". Puis se mettra en place une "space operation force" l'année prochaine. Leur objectif est d’avoir une force aérienne et spatiale d'autodéfense d’ici 2027.

 

Voilà donc la façon dont se structurent nos activités, chaque partie apportant ses idées et propositions à débattre. Chacun a son propre calendrier d'exercices et est susceptible d’inviter l’autre à certains d’entre eux. La participation dépendra de l’intérêt de l’exercice, en particulier par rapport à d’autres organisés par d’autres partenaires, et de la disponibilité des forces au regard de leurs contraintes. Pour illustrer ces propos, je souhaiterais prendre l’exemple de "Pacific Skies". Ce déploiement a commencé par une escale valorisée au Canada. Il s’est poursuivi par un grand exercice multilatéral en Alaska avant de faire une nouvelle escale valorisée au Japon, puis de se rendre en Australie pour un autre grand exercice multilatéral : "Pitch Black". A l’issue, un autre exercice d’ampleur s’est déroulé en Inde. Il y a donc toute une combinaison d’agendas à coordonner pour être présent là où c'est le plus utile et pour travailler avec les partenaires les plus pertinents. La Marine, on l’a vu précédemment, se déploie aussi sur des périodes longues, avec plus d’itérations, ce qui permet d’avoir une empreinte plus large, ou du moins plus marquée dans le temps.

 

Pour l'armée de Terre, c'est un peu plus compliqué, car elle va dépendre de l'armée de l'Air ou de la Marine pour se déployer dans le Pacifique, pour porter ensuite son effort sur des zones ciblées. On le voit, ces armées sont complémentaires, avec leurs impacts spécifiques qui permettent de produire des effets pouvant répondre à des attentes politiques assez larges et exigeantes. Ils seront d’autant plus fort en travaillant en coordination plus étroite avec nos partenaires affinitaires.

 

Après ce long préambule, j’en viens enfin au commandement, l’objet de votre question. La structure de commandement en exercice est très variable selon le partenaire. La Constitution japonaise interdit de placer des forces japonaises sous un commandement direct étranger et de la même façon, interdit d'avoir des étrangers sous commandement direct japonais. Chaque pays a ses propres règles, il s'agit de s'adapter. Chacun arrive avec ses contraintes politiques et juridiques.

 

Il y a un dialogue à la fois entre juristes et entre officiers en charge des opérations pour trouver une architecture qui soit pertinente pour simuler le combat. C'est assez souple, cela peut se traduire par des répartitions de zones géographiques, chacun agissant indépendamment dans l’espace qui lui est confié en se coordonnant avec l’autre. Cela peut aussi prendre la forme d’une répartition de responsabilités par domaines de lutte, une nation étant responsable de bout en bout. Dans tous les cas, les différents états-majors doivent dialoguer pour garantir une cohérence d'ensemble. Il faut souvent faire preuve d'inventivité. La question du commandement est toujours cruciale dans une guerre. La Seconde guerre mondiale l’a montré.

 

Dans le Pacifique, au Japon, la compétition entre l’Armée impériale et la Marine impériale a été source de dysfonctionnements majeurs faute d’autorité d’arbitrage puissante. En Europe, les différents débarquements ont été réalisés avec des structures de commandement ciselées, intégrant des impératifs opérationnels et politiques entre alliés qui n’avaient pas tous le même poids.

 

On observe aujourd'hui que le Japon et la Corée du Sud sont de plus en plus impliqués dans les travaux de l'OTAN. L'ouverture d'un bureau de l'OTAN à Tokyo a été évoquée. Cela répond sans doute à des préoccupations légitimes de nos amis japonais, sud-coréens, et d'autres nations, face aux tensions internationales dont nous avons parlé plus avant.

 

La grande différence entre la zone euro-atlantique et la zone Pacifique, c'est que pour la première on a effectivement une architecture de défense et de sécurité entre alliés qui existe avec l'OTAN. Pour le Pacifique, il n'y a rien de comparable. Nous sommes sur des alliances entre pays, entre les États-Unis et le Japon, les États-Unis et la Corée du sud, ou bien la Chine et la Corée du Nord, du moins sur le papier pour ces deux dernières car cela ne se décline pas en activités de préparation opérationnelle. Les Américains font énormément d'efforts pour renforcer l'alliance trilatérale États-Unis, Corée du Sud, Japon. Il y a une volonté de structurer davantage cette relation. L'OTAN se présente d’une certaine manière comme un modèle à suivre.

 

La logique suivie par ces puissances consiste à maintenir la stabilité par le rapport de force stabilisateur : si je montre ma force, je limite les risques d'avoir un engagement hostile avec un autre compétiteur. C'est dans cet esprit-là que le Japon souhaite avoir une présence de l'OTAN accrue dans le Pacifique. C'est dans un esprit de renforcement de l’interopérabilité que les nations membres de l’OTAN souhaitent nouer des partenariats particularisés avec des pays affinitaires et capables qui n'ont pas vocation à faire partie de l'Alliance Dans le cadre d'un conflit quelconque qui aurait un impact direct sur la sécurité de l’Europe, l’OTAN pourrait être amenée à travailler avec ces pays, dans un format de coalition qui justifie de travailler à l'interopérabilité. C’est exactement ce qui se passe en ce moment dans le nord-ouest de l'océan Indien depuis plusieurs années, s’agissant de la lutte contre le terrorisme et contre la piraterie. Une meilleure surveillance maritime est nécessaire.

 

L’OTAN déploie des forces à cette fin et travaille avec des pays qui n’en font pas partie. Le Japon a en permanence sur zone une frégate et des avions de surveillance maritime stationnés à Djibouti. Dans le Pacifique, la Corée du Sud, le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, répondant au label « AP4 » (Asia Pacific 4), sont les pays disposant d’un lien particulier avec l’OTAN. S’agissant de l’idée d’un bureau de liaison de l'OTAN au Japon, elle a été avancée par le secrétaire général de l'OTAN, sans validation préalable des membres de l’alliance. Cette proposition a été très bien accueillie par le Japon, mais la France et d’autres pays membres ont expliqué en quoi cette idée n’était pas pertinente dans l’état actuel des choses.

 

L'OTAN a été conçue pour l'Atlantique nord. Il a fallu 75 années à l’Alliance pour se construire au niveau où elle se trouve aujourd'hui. Cela a été un travail de longue haleine, avec une vraie cohérence d'ensemble, avec les forces terrestres des pays du continent européen, avec des forces navales qui se sont adaptées à l'environnement, des commandements sur mesure, etc. On ne peut pas transposer cela dans le Pacifique aussi facilement. Tous les chars de l'Europe centrale ne seront pas demain dans le Pacifique ; parmi les forces navales présentes en Europe seulement une petite partie pourra aller dans le Pacifique. Il est donc illusoire de penser qu'en plantant un drapeau OTAN dans le Pacifique, on aura la même force de dissuasion ou de frappe et cela, les pays concernés le savent très bien. Par ailleurs, le dialogue existe puisque dans chaque pays de l’AP4, une ambassade est le point de contact officiel de l’OTAN. Par exemple, pour la Corée du Sud, c'est l'ambassade de France, et pour le Japon, c'est l'ambassade du Danemark. La proposition faite revenait à ouvrir un bureau avec une seule personne à sa tête, un "Laptop officer".

 

On voit bien là les limites d’un projet d’une portée au demeurant symbolique sans réalité opérationnelle derrière, mais qui aurait eu en revanche des conséquences politiques très lourdes, susceptibles de causer de nouveaux remous dans la région. Le sujet a été quasiment enterré au sommet de Vilnius de l’an passé. L’OTAN a signé un partenariat particularisé, dit ITPP (Individually tailored partnership program), avec le Japon. Il porte sur un certain nombre de domaines qui font sens parce que relativement détachés de la logique géographique : le cyber, le spatial, la lutte contre la désinformation, tout ce qui relève de l'influence. Cela a été réaffirmé lorsque le président de la République et le Premier ministre Kishida se sont vus à Paris le 2 mai, ainsi que lorsque les deux ministres de la Défense, Monsieur Lecornu et Monsieur Kihara, se sont rencontrés à Singapour le 1ᵉʳ juin. La Feuille de route franco-japonaise 2024-2027 intègre la mise en œuvre de l’ITPP à l’échelle bilatérale.

 

Une architecture géostratégique semble émerger face à de nouvelles menaces, réelles ou perçues. Au cours des deux dernières années, le Japon a renforcé ses accords de défense avec plusieurs pays. Comment la France s'insère-t-elle dans ce réajustement stratégique ? Cette logique de blocs, à laquelle la France s’oppose, est-t-elle de fait en train de se constituer ?

 

Cette reconfiguration a été provoquée par un catalyseur : l'agression russe en Ukraine, qui a engendré un certain nombre de réactions en chaîne. Dans les mois qui ont suivi l'agression russe en février 2022, le Japon a publié ses nouveaux documents d'orientation stratégique. Tokyo a fait le choix d’une politique de sécurité et de défense plus affirmée, en annonçant notamment le doublement de son budget « lié à la défense » entre 2022 et 2027, pour passer de 1% à 2% du PIB. Cette vision englobe la sécurité économique et des approvisionnements stratégiques, la cybersécurité ou encore l’action de l’Etat en mer par les garde-côtes qui sont une entité civile. Le budget de la défense à proprement parler devrait augmenter de 60% sur ladite période.

 

Tokyo a aussi manifesté une volonté très forte de revigorer son industrie de défense, de la moderniser, le tout se traduisant par un assouplissement de sa politique d'exportation. Les dernières évolutions en termes de réglementation intérieure pour favoriser les exportations datent du mois de décembre 2023, dans un cadre qui demeure beaucoup plus limitatif qu’en Occident, en Russie ou en Chine. Malgré tout, lorsque le Japon accepte de développer un avion de chasse de nouvelle génération avec le Royaume-Uni et l’Italie, puis de l’exporter à terme vers les pays avec lesquels l’archipel a signé un accord de recherche ou d'échange technologique, il faut prendre conscience de l’avancée que cela représente pour l’archipel. Il apparaît donc que les choses bougent et que les sources de divergences entre certains pays s'amenuisent au fur et à mesure qu'une menace commune apparaît ou semble se dessiner.

 

En fait, ce n’est pas tant la menace russe liée à l'agression de l'Ukraine qui fédère, c'est le fait qu’il est désormais avéré qu'une grande puissance peut agresser son voisin : on l’avait peut-être collectivement oublié depuis la fin de la Guerre froide. Donc toutes les hypothèses sont ouvertes quant à la grande puissance susceptible d'attaquer tel ou tel pays voisin. On a par conséquent assisté à un rapprochement entre le Japon et la Corée du Sud, bien que les problèmes de fond, notamment mémoriels, subsistent sans perspective de règlement à ce stade, et que des tensions ressurgissent régulièrement. On observe également un rapprochement du Japon avec les Philippines, au travers de la négociation très rapide d'un accord d'accès réciproque qui montre donc la volonté du Japon de développer des liens avec un partenaire qui lui-même est en situation de forte tension avec la Chine.

 

Les nouveaux documents d'orientation stratégique du Japon offrent à la France de nouvelles perspectives de développement de l'interopérabilité, dans tous les domaines précédemment mentionnés. Une coopération industrielle de défense plus ambitieuse est possible. La question est de savoir sous quelle forme une coopération renforcée est possible : le co-développement est en particulier une piste à creuser, ce qui nécessite un travail assez nouveau de mise en contact entre industriels et entre entités étatiques, la DGA côté français et son homologue, l'ATLA, côté japonais, d’une part, et les forces armées ou d’autodéfense, d’autre part. Leur retour d'expérience sur les équipements est central pour ensuite les améliorer.

 

Ce format innovant par le fait qu’il cherche à réunir tous les acteurs vise in fine à mettre en place de nouvelles habitudes de dialogue et de travail. Pour le moment, il n'y a pas de changement annoncé au-delà de la stratégie indopacifique. Ce qui est structurant de manière générale dans la relation avec le Japon, c'est la feuille de route, que j’ai brièvement mentionnée plus haut, qui dépasse largement le domaine de la défense puisqu'elle est intergouvernementale. Elle a été signée au mois de décembre 2023 au niveau du président de la République et du Premier ministre Kishida, et elle fixe le cap dans les différents secteurs de coopération de fin 2024 jusqu'à 2027.

 

Dans ce cadre-là, nous restons sur une approche assez classique de la relation bilatérale qui prend en compte l'évolution de l'environnement sécuritaire, mais qui ne change pas les fondamentaux de la relation. Nous ne sommes donc pas sur la construction d'une nouvelle forme d'alliance entre la France et le Japon et je ne sais quels autres partenaires. Nous restons sur une logique de consolidation de notre propre approche historique.

 

Le fait que les forces et les capacités de projection d'un pays comme la France soient si loin du théâtre d'opérations peut poser problème. Est-ce que nous avons assez de moyens positionnés ou prépositionnées dans la zone pour être suffisamment dissuasifs si un conflit dans la zone intervenait ?

 

La question géographique aujourd'hui, d'un point de vue stratégique, est évidemment différente de ce qu'elle pouvait être par le passé du fait des technologies et de l'évolution d'un certain nombre de facteurs. Si on prend l’exemple de l'agression russe en Ukraine, on voit un lien direct de sécurité entre le théâtre Pacifique et Euro-atlantique, du simple fait de l’implication de la Corée du Nord, voire d’autres pays, dans l'effort de guerre russe en Ukraine. Donc là, le lien est assez clair et montre bien qu'on ne peut pas réfléchir en se disant que le Pacifique, c'est loin, cela ne me regarde pas. Si on ne s'intéresse pas au Pacifique, le Pacifique s'intéressera à nous en Europe. Et c'est déjà le cas.

 

On a également d'autres facteurs si l'on prend par exemple les questions climatiques, avec les perturbations et les déséquilibres qu’elles entraînent et qui sont donc sources d'insécurité pour la zone du Pacifique comme pour celle de l’Atlantique. L'approche géographique n'est plus complètement pertinente. On se doit donc de prendre en compte ces facteurs qui sont totalement transverses. Ce qui demeure toujours vrai pour les moyens, c'est cette distance de 10 000 kilomètres qui nous sépare. D'où la logique que poursuit notre politique régionale depuis des années, comme je l’ai expliqué, consistant à disposer de relations consolidées avec un maximum de partenaires. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

 

Avoir des points d'appui logistique et des partenaires de potentielle coalition avec lesquels nous sommes interopérables. On ne peut pas penser de toute façon un engagement armé de grande ou même de moyenne échelle dans la zone en partant tout seul. Cette approche collective, à la hauteur de nos moyens, donne un avantage stratégique. Mais même si nos moyens militaires sont excellents, ils restent limités en nombre. La priorité est donc de disposer d’une capacité de projection pour s’intégrer dans une coalition : on envoie des moyens, ces moyens bénéficient de l’appui logistique pour rester sur place et ensuite on fait du "plug and play" avec nos partenaires régionaux. C'est le travail de l’ombre du quotidien, une grosse partie du travail des missions de défense qui cherchent à favoriser les mises en contact entre forces affinitaires pour travailler l'interopérabilité. On en revient à ce que je disais au début, sur le plan opérationnel, les systèmes doivent « se parler », sur le plan humain, les hommes doivent « se comprendre » et sur le plan logistique, les infrastructures doivent « soutenir » : il faut pouvoir assez facilement, si on a des pannes, se faire approvisionner, ou procéder à des réparations. C'est tout cela qui entre en jeu et qui renforce une coalition. Se tenir prêt c’est déjà être dissuasif et contribue à préserver la stabilité.

 

Est-ce que l’importance qu’a prise l’Indopacifique devrait amener nos autorités à accorder plus de poids à la Marine par rapport aux autres composantes de nos forces ?

 

C'est une réflexion qui tient compte de l'évolution des tensions mondiales. Notre modèle ne change pas car il est validé pour le moment par le président de la République. C’est un modèle de défense équilibré et complet. "Complet", cela veut dire qu'on n’abandonne aucune composante du combat : on conserve le savoir-faire dans tous les domaines. "Equilibré", cela veut dire qu’on ne sacrifie aucune armée ni qu’on ne surinvestit nulle part de façon à conserver un outil cohérent. Et donc se pose la question de l'importance des moyens navals. Sur ce point je prendrai le problème à l'envers, c'est à dire en m’interrogeant sur les défis qui sont posés aujourd'hui sur un théâtre. En fonction de ces défis, de nos alliances, de nos partenaires et de nos contraintes, nous devons nous demander quels sont les besoins optimums qu'ils soient navals, aériens ou terrestres ? Sur la base du constat de l'existant, on essaiera de compenser le différentiel et de faire selon les cas des arbitrages.

 

À un moment donné, on peut se retrouver dans une période de grande paix et c'est là que cela peut devenir compliqué. On assiste alors à une baisse du budget de la défense pendant de nombreuses années partant du constat que les moyens mis en place n’ont plus de raison d’être. Le problème, c'est lorsque les tensions évoluent et que la menace militaire se précise, le risque de guerre de haute intensité revient. On décide alors de rehausser le budget de la défense, mais il y a beaucoup de choses à reconstruire et c'est le problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui : nous restons dans une logique de rattrapage. Certes, le budget augmente, mais en fait c'est pour remettre en place des moyens qui se sont trop réduits pendant cette période où effectivement ils étaient moins nécessaires.

 

Cela crée une vulnérabilité. La réflexion sur le socle est donc fondamentale, même dans les périodes où on considère que ce n'est pas utile. Si les Japonais ont décidé de doubler en cinq ans leur budget lié à la défense, c'est entre autres pour ces raisons-là. Les Chinois ont commencé l'effort beaucoup plus tôt. Les Russes ont fait des choix différents dans leurs investissements. Globalement, on est dans des renforcements budgétaires et capacitaires partout dans le monde. C'est par nature inquiétant puisque les outils de défense sont de plus en plus performants partout, et donc cela place plus haut la barre de la capacité dissuasive pour maintenir la stabilité. Pour leur part, les Japonais portent une attention toute particulière à leur flanc sud-ouest, craignant une guerre contre Taïwan.

 

Ce n'est pas par hasard que l'on a affecté à Tokyo un attaché de défense qui est marin, cela montre l'importance de la marine dans la région.

 

Le poste d’attaché de défense à Tokyo a toujours été occupé par un marin. Historiquement, la contribution de la France à la transformation du Japon sous l’ère Meiji a commencé par la construction du premier arsenal moderne et s’est poursuivie par l’amélioration de l’architecture navale. La présence régionale qui pesait sur les relations internationales par sa mobilité était incarnée par la Flotte d’Extrême-Orient. Au fil du 20e siècle, la Marine a gardé ce rôle central dans la relation franco-japonaise, en dehors de la période de la Seconde guerre mondiale.

 

Aujourd’hui, même si les forces terrestres et aériennes interagissent davantage, la marine demeure le point d’ancrage principal de la relation bilatérale de défense. L’évolution de l’environnement stratégique justifie une présence plus forte, mais comme nous l’avons déjà vu, elle doit se penser collectivement, au juste besoin.

 

En France métropolitaine, nous devons avoir en permanence des moyens qui assurent la protection de la Force océanique stratégique. Jamais nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engin ne doivent être détectés, tout particulièrement en début et en fin de patrouille, quand ils sont le plus vulnérables. La souveraineté doit aussi être respectée. Il faut donc être en permanence capable d'intercepter un intrus qui va entrer dans notre espace aérien et maritime. Il faut avoir en permanence une vision très claire de la situation maritime, avec une capacité d'intervention autour du territoire français, que ce soit en Europe ou en Outre-mer. La solidité de ce socle est la priorité. A partir de là, il faut aussi peser à l'échelle internationale sur des zones qui comptent et où il nous faut avoir une capacité de projection. Donc bien sûr, le marin que je suis dira que c'est une bonne chose de renforcer notre Marine et d'avoir une présence plus importante dans le Pacifique avec des moyens de premier rang. Mais il faut avant tout préserver la cohérence de notre outil de défense, « complet et équilibré », et sa disponibilité pour être mis en œuvre dans les zones de crise où nos intérêts sont en jeu. Désormais, et depuis quelques années, le processus de sélection des attachés de défense est interarmées. Un marin a à chaque fois été sélectionné mais cela peut tout à fait changer à l'avenir.

 

Quand on regarde le théâtre d’opérations, avec cet océan Pacifique gigantesque, évidemment les Marines sont absolument centrales. Sans une Marine solide dans la région, on pèse peu. Mais la vitesse de projection compte beaucoup également. Si on prend la stratégie américaine, celle-ci consiste aussi à avoir une capacité de frappe et de projection de puissance. Les États-Unis n’ont pas forcément besoin d'avoir beaucoup d'avions stationnés dans la zone, mais une capacité de projection stratégique depuis le territoire américain. C'est cet équilibre-là qui fait l’objet de toutes les discussions stratégiques.

 

Thomas Mulhaupt : Je vais vous proposer de nous recentrer sur la Fondation France-Asie, ses activités en premier lieu, en commençant par vous-même et votre expérience en tant que Young Leader de la France China Foundation. Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce que ce programme vous a apporté ? Et quels souvenirs marquants gardez-vous des séminaires que vous avez suivis ?

 

J'y ai vu deux avantages importants. Le premier, c’est la rencontre avec des personnes ayant des activités très différentes, qui n'avaient pas forcément vocation à se connaître, à discuter entre elles. Et ça, c'est quelque chose dans mon métier que j'essaie de favoriser au maximum, faire discuter entre elles des personnes qui ne se connaissent pas forcément pour leur montrer que les questions de sécurité et de défense, ça concerne tout le monde. Cela est aussi valable dans l’autre sens, sur d’autres sujets qui peuvent concerner aussi les militaires. Dans le monde interconnecté, ultra rapide, que l'on connait aujourd'hui, si chacun reste dans sa bulle, on ne saura plus résoudre les problèmes ou saisir les opportunités. Donc ces passerelles entre communautés offertes par la Fondation sont de mon point de vue essentielles. J’appartiens à une "promotion" en particulier, mais dans les faits on est associé à deux promotions. Cela m'a permis de discuter avec d’autres personnes et de faire part de problèmes, de questions de sécurité, de défense internationale que les gens n'imaginaient pas forcément et qui permettent finalement de rééquilibrer ce qu'ils peuvent entendre par d’autres canaux, qui est parfois assez binaire ou très manichéen.

 

Inversement, les autres Young Leaders m’ont permis de mieux comprendre un certain nombre d'enjeux économiques, commerciaux, environnementaux qui ne font pas partie de mon quotidien, mais qui nourrissent ma réflexion. J’ai d’ailleurs mis en place quelques projets ou partenariats qui n'allaient pas forcément de soi. Cela est surtout valable au niveau du réseau français puisque c'est beaucoup plus simple sur le long terme de garder ces liens-là, surtout pour moi, en tant que militaire.

 

Avec les Young Leaders étrangers, chinois en ce qui me concerne, le premier défi est de se comprendre sans fond culturel commun, même si on a été choisi par la Fondation pour, entre autres, avoir une certaine connaissance de l'autre pays. Dans le cas de la Fondation France Chine, lorsqu'on est militaire, c'est un peu différent par rapport à la Fondation France Japon, puisque la nature du lien va être beaucoup plus institutionnelle et va le rester. Avec mes partenaires chinois de la Fondation, nous avions des discussions qui partaient finalement d'un échange classique entre autorités. L'avantage de passer une ou deux semaines ensemble, c'est qu'au bout de quelques jours, on pouvait discuter un peu plus librement et ça c'est aussi intéressant.

 

La Fondation pose un cadre qui est vraiment accepté par tout le monde, dans une logique d'écoute et de dialogue. On n’obéit pas à une logique professionnelle lorsqu'on va se parler. J'ai assisté à un certain nombre de dialogues, notamment sur la mer de Chine méridionale avec la Chine. Au lieu d’être une source de tensions, ils ont été l'occasion de mettre des choses sur la table. Cela ne permet pas forcément d'avancer, mais au moins chacun écoute l'autre, ce qui aide au dialogue. Cela permet en même temps de repérer qui de l'un ou de l'autre est plus sensible à telle ou telle question. Voilà mon expérience Young Leader vue de l'intérieur. Ensuite, lorsqu’avec Arnaud Ventura, le Président de la Fondation, vous m'avez approché pour essayer de mettre en place un chapitre France-Japon. Le fait d’avoir été Young Leader a facilité les choses pour essayer de trouver des premiers contacts japonais et de trouver le premier sponsor, d'expliquer aussi au sein de l'ambassade comment la Fondation fonctionnait. Je visualisais tout de suite ce qu'il était possible de faire avec le Japon, au moins dans un premier temps.

 

Selon vous, quel rôle pourra jouer la France Japan Foundation dans les relations franco-japonaises futures?

 

Celui de mettre en contact des communautés qui ne se connaissent pas a priori. Je reste sur ma vision. C'est particulièrement important au Japon, qui est une société très organisée, très structurée, avec une logique qui lui est propre et dont il faut connaître les codes pour pouvoir nouer un certain nombre de partenariats et de coopérations. Cela s’avère plus compliqué et cela prend plus de temps.

 

À cet effet, la Fondation peut réellement jouer un rôle de facilitateur dans ce dialogue, bien sûr dans le domaine économique mais aussi dans beaucoup d’autres, culturels, sportifs, etc. Le timing est particulièrement bon parce que le Japon cherche des partenariats plus structurants. On l'a vu sur la Défense, mais c'est aussi valable dans de nombreux autres domaines. Il y a un réel intérêt pour les Japonais de savoir comment l'autre raisonne et comment en France nous sommes nous-mêmes organisés avec nos propres codes qui ne sont pas forcément évidents à appréhender.

 

Dans le cadre de la France Japan Foundation, le calendrier va être assez dense (premières candidatures de Young Leader côtés français et japonais, premier séminaire en 2025, premiers projets avec la Fondation...). Selon vous, quelles retombées pourra-t-on en attendre et quels seront les autres projets sur lesquels la France Japan Foundation pourra s'investir ?

 

Les retombées, c'est déjà d'avoir mis en place des canaux de dialogue qui n'existaient pas auparavant. Une fois que le projet sera finalisé et abouti, et qu'on passera à autre chose, les canaux de dialogue resteront entre les acteurs qui ont été concernés par la mise en place de ce projet. Au bout du compte, sans que la Fondation n'ait besoin d’intervenir, de nouveaux projets naîtront grâce à la mise en place de ces contacts. Les ponts une fois construits continueront à être empruntés. Ils seront également utiles pour les Young Leaders eux-mêmes, amenés à appuyer un projet de la Fondation et à partager leurs expériences. On dépassera la logique de curiosité vis-à-vis de l’autre pour s’impliquer véritablement dans une recherche de collaboration.

 

Avec un projet commun, des travaux de groupe s’imposeront pour définir les objectifs, s’organiser et orienter les actions. Il sera possible de développer des synergies qui n'existaient pas auparavant, puisqu'on était alors simplement dans une logique de réseau. Pour les Young Leaders, cela apportera de l’expérience de management, dans les structures dans lesquelles ils servent avec des futurs projets en perspective.

 

Au-delà des exercices imposés, il y a l'envie pour les Young Leaders de prendre des initiatives et lorsque certaines occasions se présentent, d'associer la Fondation qui elle-même va utiliser sa force de frappe pour réunir et utiliser ce socle. Le défi consiste à rester avec le temps dans cet esprit de partenariat, de rapprochement et d'approfondissement des liens.

 

Et c'est tout à fait l'esprit de ce projet " The Biggest Painting in the World" et peut-être aussi demain d’un projet comme celui des "Ailes rouges", qui tourne autour de l'aviation entre la France et le Japon, avec une forte connotation mémorielle.

 

L'idéal, c'est d'avoir un projet déjà en cours, dans lequel la Fondation va apporter le coup de pouce décisif, pour que l'événement atteigne vraiment son objectif, parachève son ambition. Un projet qui implique des acteurs français et japonais à parts égales. Un projet qui est fédérateur, évidemment, dans lequel à peu près tout le monde dans la communauté des Young Leaders peut se reconnaître, ou en tout cas imaginer qu'il aura une contribution positive à apporter, dans un domaine qui peut être complètement étranger à sa propre activité.

 

Le projet des « Ailes rouges » concerne la construction d'un avion Caudron-Simoun des années 1930 piloté par André Japy. Il souhaitait battre le record de vitesse entre Paris et Tokyo en faisant la liaison en moins de 100 heures. Sur le dernier tronçon, il s’est trouvé face à un dilemme avec la tempête qui l’attendait et la possibilité qu’il n’atteigne pas l’objectif qu’il s’était fixé. Il a tenté sa chance et son engin s’est finalement écrasé sur le mont Sefuri, dans la préfecture de Fukuoka de l’île de Kyushu, la plus méridionale des quatre grandes îles du Japon. André Japy a été sauvé par des villageois de Kanzaki, le village le plus proche du lieu du crash. Ces villageois ont pris beaucoup de risques, collectivement, pour sauver un homme. C'est une belle histoire qui a été à l’origine d’un jumelage entre les villes de Kanzaki et de Beaucourt, où est né André Japy.

 

Et puis au-delà de ça, il y a donc cette reconstitution d'avion en France, avec l'idée de le faire venir et voler au Japon pour que le dernier tronçon qui s’est dérobé à André Japy puisse être franchi.

 

Cette épopée incarne le lien fort entre la France et le Japon. Elle est aussi un beau symbole de l’esprit collégial que souhaite avoir la Fondation.

 

 

 

 

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Le capitaine de vaisseau Jérôme Chardon occupe, depuis août 2022, les fonctions d'attaché de défense près l'ambassade de France au Japon. Conseiller militaire de l'ambassadeur, il représente le ministre des Armées et l'ensemble des services du ministère auprès des autorités japonaises. Sa carrière diversifiée alterne des postes embarqués, en état-major, en administration centrale et en ambassade. Il a acquis une solide expérience opérationnelle entre 1998 et 2003 en naviguant dans l'océan Indien, en Méditerranée et au large de l'Afrique de l'Ouest. Il a également occupé des postes à Paris, centrés sur l'analyse stratégique et la coordination de défense, notamment en lien avec la région indopacifique, et a été attaché naval en Chine et attaché de défense non-résident au Cambodge de 2008 à 2011. Expert en sécurité environnementale, il a enseigné à l'université Paris-Dauphine de 2018 à 2023, où il était responsable du module « Géostratégie des enjeux sécuritaires environnementaux » au sein du Master 2 « Dévelop-pement durable et organisations ». Le capitaine de vaisseau Chardon est diplômé de l'école navale, du U.S. Naval War College, de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), et de l'Institut national d'études de défense du Japon (NIDS). Il détient également un diplôme en chinois de l'Institut national de langues et civilisations orientales. Chevalier de la Légion d'honneur et de l'ordre national du mérite, il est décoré de plusieurs médailles, dont la médaille d'or de la défense nationale et la médaille commémorative française pour l'Afghanistan.

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