Entretien Nouveaux Regards avec Abhinav Bindra ( YL France-Inde 2023 ) et Pascal Gentil (YL France-Chine 2018 )

Jean-Raphaël Peytregnet : Pascal Gentil, pouvez-vous nous parler de votre expérience en Chine ? Avez-vous participé aux Jeux de 2008 ?

 

Pascal Gentil : Il se trouve que je n'ai pas été sélectionné pour participer aux Jeux de Pékin 2008 à cause d'une blessure survenue un mois avant l'événement. C'est à ce moment-là que je me suis rendu en Chine, où j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme : une Française qui avait appris le mandarin dans une université située près de mon domicile à Aix-en-Provence. Nous sommes mariés depuis 15 ans. Mon fils est né et a grandi en Chine. Au sein de Veolia, j'étais chargé des relations avec les ambassades et les chambres de commerce. En interne, je m'occupais de la sécurité de l’entreprise qui comptait dix mille employés. J'ai également travaillé quatre ans pour le Comité Olympique de Pékin. J'étais chargé de l’intermédiation lors de la venue de la délégation du CIO (Comité International Olympique) en Chine car je parle le mandarin.

Je connaissais toutes les personnes du mouvement olympique comme Thomas Bach, le président du CIO. Je faisais l'interprétation entre les Chinois et le CIO. J'ai passé quatre ans à faire cela pour les Jeux Olympiques et six ans à travailler pour Veolia à Pékin. Entre-temps, j'ai travaillé avec le président du Comité d’organisation des J.O. de Paris 2024, Tony Estanguet. Pour cette raison, je suis rentré en France en août 2014 et y suis resté jusqu’au moment où, en septembre 2017, la candidature de Paris a été retenue. Puis je suis retourné en Chine en janvier 2018.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Vous étiez-vous déjà rendu en Chine avant 2008 ?

 

Pascal Gentil : Oui car en tant qu'athlète, je me suis rendu en Chine en 2000 et 2004 pour préparer les Jeux Olympiques de Pékin et me confronter à des athlètes plus grands qu’ailleurs. Or dans certaines régions chinoises, ils sont très grands. Quand on regarde l'équipe nationale de basket masculine ou féminine par exemple, ils sont tous très grands. A l’époque, je me souviens d'une image marquante : j'étais entouré de 30 athlètes chinois tous plus grands que moi. Quand j'ai montré la photo à mes amis de retour en France, ils m'ont dit : « Oh, tu as l'air normal par rapport à eux ».

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Mais parviennent-ils à obtenir de bons résultats ?

 

Pascal Gentil : Dans mon sport individuel, il y a Liu Xiaojun. Il a remporté le bronze aux J.O. de Londres en 2012. Les Chinois remportent certes beaucoup de médailles car ils sont nombreux et leurs compétitions de sélections sont de très haut niveau, parfois de plus haut niveau que lors de compétitions internationales. Mais aussi, ils s'entraînent six à sept heures par jour, six jours par semaine. Ils s'entraînent beaucoup et obtiennent en conséquence des résultats.

 

Abhinav Bindra : Chaque province chinoise est très forte et pourrait à elle seule organiser des Jeux Olympiques. Elles ont les infrastructures nécessaires. J’ai bon espoir que l’Inde obtienne l’organisation des J.O. après Brisbane pour 2036. La question n’est pas de savoir si la candidature de l’Inde sera retenue, la question est de savoir quand.

 

Thomas Mulhaupt : Quelle ville indienne serait candidate à l’organisation des Jeux?

 

Abhinav Bindra : Je pense que ce sera une décision du conseil d'administration du CIO.

Il n'y a rien d'officiel à ce sujet pour l’instant. Ces J.O. pourraient être organisés dans plusieurs villes en même temps.

 

Jean-Raphaël Peytregnet: En tant qu’athlète étiez-vous en Chine pour les J.O. de 2008 ?

 

Abhinav Bindra : Oui, j'y étais. Vous savez, les Chinois sont très forts dans les épreuves de tir avec un niveau de participation qui est incroyable. Une compétition au niveau national est probablement encore plus sélective qu'une compétition internationale tant le nombre d'athlètes de haut niveau est important dans ce pays.

C’est vrai dans ma discipline mais également dans d'autres, comme le taekwondo, le tennis de table et la gymnastique. Ils ont un système unique. Ils détectent les talents à un très jeune âge et les amènent au top niveau.

 

Pascal Gentil : En Chine, on ne choisit pas sa discipline. Ils vous observent et décident pour vous. Si vous êtes grand, vous serez orienté vers le basket-ball, par exemple.

 

Abhinav Bindra : Oui, c'est un système unique en Chine. Il est très difficile de le reproduire ailleurs.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : En Chine, le sport est une des composantes importantes du soft power. Remporter des médailles est donc crucial car c’est une manière de démontrer au monde la puissance de son pays.

 

Abhinav Bindra : En effet, pendant de nombreuses années, la Chine n’a pas obtenu de bons résultats. Pendant une ou deux olympiades, dans les années 70, la Chine n'a même pas participé aux compétitions. Je me souviens qu'en 1985, ils ont remporté leur première médaille d'or en tir. Ce qui a été une grande réussite pour eux.

 

Thomas Mulhaupt : Et vous-même, qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez remporté votre médaille d’or en 2008, face à des athlètes chinois qui évoluaient devant leur public?

 

Abhinav Bindra : Le favori était en effet un athlète chinois. L'atmosphère était incroyable, 10 000 spectateurs étaient présents. C'était une compétition très disputée. Gagner ce jour-là a été l’un des plus grands moments de ma vie, mais c'était aussi le résultat de nombreuses années de travail acharné.

Remporter une médaille d'or aux Jeux Olympiques représente l'accomplissement ultime pour un athlète. Mais après avoir obtenu cette médaille, j'ai traversé une période de doute. J’avais atteint mon but mais je ne savais pas quoi faire ensuite. La transition a été difficile, il me fallait retrouver un équilibre.

Pour l’Inde, cette médaille d’or était la première, c’était très important. Je n'étais absolument pas préparé à la suite des événements. Heureusement, les réseaux sociaux n'existaient pas à l'époque, sinon les choses auraient pu être totalement différentes. Mais ce fut le plus grand moment de ma carrière.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Vous dites que vous avez atteint votre objectif avec cette médaille d'or. Mais vous avez quand même continué ?

 

Abhinav Bindra : La transition a été difficile car en tant qu’athlète vous êtes motivé par un objectif unique. Pendant 15 ans, ma vie a consisté à atteindre ce but. Après Pékin, avec ma médaille d'or en poche, j'étais perdu. Accomplir une telle performance est très épuisant émotionnellement et physiquement. Je pense que nous avons besoin de temps pour retrouver un équilibre et l’énergie nécessaire. A la suite des Jeux à Pékin, je n’avais aucune assurance de mes résultats futurs et si j’allais remporter de nouvelles médailles. Ce sentiment est propre à tout sportif. Cela m’a pris un an pour me remettre et pour retrouver la même énergie. J’ai participé à la suite à deux autres olympiades.

 

Pascal Gentil : Deux autres olympiades ? Cela équivaut à 8 années.

 

Abhinav Bindra : Oui, j’ai terminé ma carrière en 2016 aux J.O. à Rio. C’était une bonne manière de mettre fin à 22 années d’efforts. C’était fantastique, maintenant que je regarde en arrière, je pense non pas à ce que j’ai accompli mais plutôt à ce que le sport m’a apporté dans mes relations, avec mes parents, avec mes concurrents et mes entraîneurs qui sont devenus comme une famille pour moi. Ce sont des souvenirs que je garderai avec moi pour toujours. Avoir obtenu cette médaille est évidemment fantastique. Elle est accrochée au mur, mais je ne sais pas trop quoi en faire. Ce qui est important, c’est ce que l’on gagne au travers de cette médaille en tant que personne, en tant qu’être humain, au regard des objectifs que l’on s’est fixés.

Le sport est unique car il vous apprend à gagner mais aussi à perdre. L'échec est un formidable moteur pour vous renforcer.

 

Pascal Gentil : C'est ce que je dis toujours : l'échec est la clé du succès.

 

Abhinav Bindra : Exactement, il s'agit d'apprendre à échouer pour mieux rebondir.

 

Pascal Gentil : En France, on valorise le succès et on oublie l'échec, alors que c'est pourtant un élément essentiel de la réussite et de la progression. Tu as obtenu la médaille d’or à Pékin en 2008, puis tu as participé aux J.O. de Londres et obtenu la quatrième place aux Jeux De Rio de 2016. Si tu n'avais pas remporté cette victoire à Pékin, penses-tu que cela aurait eu une conséquence sur ta participation aux olympiades qui ont suivi ?

 

Abhinav Bindra : La tension était plus forte pour Londres et j’ai échoué. Rio était pour moi un succès malgré ma 4e place, car le niveau était très élevé. C’était une bonne compétition. Pékin m'a privé d’une année de solide préparation à cause de ce vide que j’ai ressenti après ma victoire. Je pense que lorsque tu perds, oui tu es déçu mais tu retournes quand même rapidement à la compétition.

 

Pascal Gentil : Je n'ai jamais gagné l'or aux J.O., mais je suis quand même resté motivé. J'ai commencé le taekwondo à l’âge de 18 ans. A cette époque, les gens autour de moi disaient que c'était trop tard pour commencer une carrière sportive, mais j'ai prouvé qu'ils avaient tort. Je n’avais même pas encore commencé que l’on me disait que je n’y arriverais pas. Au final, après deux ans, j’ai gagné le championnat d’Europe et je suis arrivé deuxième aux Mondiaux. On m’a dit la même chose quand j’ai voulu me lancer dans la mode, que j’étais trop grand, pas assez mince. Au final, j’ai fait une publicité pour la marque de montres Hublot ainsi que pour Clarins Cosmetics Worldwide. La clé du succès, c'est de rêver grand et de travailler dur. Lorsque vous avez atteint votre objectif, vous devez trouver un nouveau défi à relever.

 

Thomas Mulhaupt : Aujourd'hui, la santé mentale est un sujet central dans le sport de haut niveau. Cet aspect est encore amplifié par l’apparition des réseaux sociaux. Durant vos carrières respectives, comment gériez-vous l’impact de vos succès et de vos échecs sur votre mental ?

 

Abhinav Bindra : Tous les gens pensent que les athlètes sont forts mentalement, mais avant d’être un athlète on est d’abord un humain. Nous sommes aussi vulnérables que n'importe qui d'autre, voire davantage. Nous sommes constamment face à nos réussites et nos échecs. Nous nous entraînons énormément, nous devons récupérer à la fois physiquement et mentalement. Nous sommes confrontés à des attentes et à une pression constante, ce qui peut être épuisant sur le plan mental.

 

Pascal Gentil : Le sport nous donne cette opportunité de nous surpasser.

 

Thomas Mulhaupt : De plus, à très haut niveau, vous deviez constamment repousser vos limites.

 

Abhinav Bindra : Oui, c'est un défi permanent. Les personnes très performantes perdent parfois leur équilibre dans la vie.

 

Pascal Gentil : Nous devons penser à la vie après le sport, comment retrouver une vie normale, gérer les sponsors, savoir vendre son image sans oublier la famille. Nous ne sommes pas des professionnels, il faut donc tout concilier en subissant beaucoup de pression. Mes sponsors ne me donnent de l’argent que si je gagne et donc je dois absolument gagner.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Quels ont été les soutiens officiels du gouvernement ?

 

Pascal Gentil : Nous avons eu quelques aides, comme pour les frais d'hébergement et de déplacement, mais nous avons dû trouver de l'argent supplémentaire pour subvenir à nos besoins.

 

Abhinav Bindra : En Inde, j'ai reçu du soutien après ma victoire, mais avant cela, c'était difficile. C'est mieux maintenant, mais c'est toujours axé sur certains sports. Le défi est de subvenir à ses besoins en dehors du milieu sportif. Au début, tout reposait sur le compte bancaire de mes parents, mais une fois que j'ai remporté des victoires, j’ai commencé à obtenir une aide financière du gouvernement.

 

Pascal Gentil : Dans mon cas, mes parents ne pouvaient pas me soutenir financièrement. J'ai travaillé dans un restaurant pour financer ma formation.

 

Thomas Mulhaupt : En France, certains athlètes ont des emplois dans l'administration (police, douane) pour soutenir leur entraînement. Est-ce le cas également en Inde?

 

Abhinav Bindra : C’est pareil en Inde. C’est important pour nous athlètes d’avoir une qualification professionnelle pour pouvoir accomplir une transition plus simple du sport vers autre chose. Les aides financières ne sont jamais durables. En Inde, nous avons beaucoup de jeunes athlètes mais peu d’entre eux parviendront à faire une carrière professionnelle. C’est la loi du sport.

Qu’arrivera-t-il à ces jeunes qui ont échoué ? Auront-ils par la suite une bonne vie ? Je pense qu’il faut promouvoir l’idée qu’il faut avoir un certain degré de qualifications professionnelles autres que sportives au préalable. Le sujet d’intérêt principal doit rester le sport et s’entraîner mais peut-être est-il aussi nécessaire de consacrer une heure ou deux à certains programmes de formation qui permettront à l’athlète en question de rebondir après le sport, d’avoir un avenir professionnel.

 

Pascal Gentil : En tant qu’athlète nous développons beaucoup de “soft skills”: savoir parler, apprendre des langues étrangères, qui peuvent s’avérer très utiles si vous travaillez dans une entreprise, au sein d’une équipe. Certains athlètes ne réalisent pas que ce sont des compétences nécessaires à acquérir s’ils veulent être utiles à la société.

 

Abhinav Bindra : Je souhaite revenir sur un point : l’échec. Il est important que la société arrête de mépriser autant l’échec, y compris dans le sport. Dans quelques semaines, vous allez avoir les J.O. à Paris avec 15 000 athlètes et seulement 300 d’entre eux repartiront avec une médaille d’or. Qu’adviendra-t-il des autres ? Ce n’est pas parce qu’ils ne repartent pas avec une médaille d’or qu’ils ont échoué pour autant. Participer aux Jeux est déjà très compliqué. La façon dont nous considérons l’échec n’est pas la bonne : l’échec sème les graines du succès.

 

Pascal Gentil : Aux Etats-Unis c’est différent, l’échec est une bonne chose. L’échec ne les dissuade pas de donner à leurs athlètes une seconde chance, voire une troisième, etc.

 

Thomas Mulhaupt : Vous avez tous les deux participé à tous types de compétitions nationales et internationales. Comment définiriez-vous la différence entre les Jeux Olympiques, la reine des compétition, et les autres types de tournois?

 

Abhinav Bindra : Je pense que les Jeux Olympiques sont la compétition sportive la plus “romanesque”, l’objectif ultime. Mais je pense que ce qui les rend difficiles pour les athlètes, c’est leur fréquence, une fois tous les quatre ans. Les athlètes travaillent dur pour parvenir au sommet dans une épreuve qui se déroule en un seul jour et même pour certains sports, en quelques secondes. Cela rend ces Jeux très excitants, l’attention du monde entier se porte sur toi.

 

Pascal Gentil : Être le champion de son sport, c’est quelque chose d’intime : tu es à la table des meilleurs, car tu es l’un des meilleurs.

 

Abhinav Bindra : Le moment que je n’oublierai jamais est lorsque j’étais à mes premiers Jeux à Sydney : j’avais 17 ans. On a vu les sœurs Williams, avec mon coéquipier. Nous sommes allés les voir et leur avons dit que nous voulions prendre une photo avec elles, mais que nous n'avions pas emporté avec nous notre appareil photo. Nous leur avons demandé d’attendre pendant que nous allions le chercher dans notre chambre. Nous sommes revenus et au moment de prendre la photo, nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas de pellicule. Nous leur avons donc demandé, sans y croire, de nous attendre à nouveau. Et à notre plus grande surprise et notre plus grand bonheur, elles étaient toujours là! Elles nous avaient attendus et on a pris les photos! C’est aussi ça l’esprit olympique, ce n'est pas seulement monter sur le podium.

Tout le monde vient pour s’affronter mais une harmonie demeure entre chacun de nous, une amitié et un respect. C’est une grande leçon d’humanité.

 

Thomas Mulhaupt : Durant l’Euro de football, certains joueurs français se sont publiquement exprimé dans le cadre des échéances législatives françaises. Selon vous, est-ce aussi le rôle d'un sportif de se d'exprimer ses opinions politiques pour influencer l’opinion publique?

 

Abhinav Bindra : Je suis en faveur de la liberté d'expression en tant qu'être humain mais je pense que les Jeux Olympiques ne s’y prêtent pas dès lors qu’ils symbolisent l’unité et la paix. Il est nécessaire de rester neutre, au risque de faire du sport une plate-forme politique, ce qui n’est pas souhaitable. Libre à vous de faire ce que vous voulez en dehors du terrain de jeu.

 

Pascal Gentil : J'ai eu l'occasion d'accueillir a semaine dernière, Tommie Smith, l’athlète qui avait levé son poing sur le podium des J.O. de Mexico en 1968 pour protester contre les discriminations dont étaient victimes les Afro-américains dans son pays, les Etats-Unis. Je suis tout à fait d'accord avec toi sur le fait que le terrain de jeu doit rester neutre pour nous. Mais mon travail m'a donné cette opportunité de rencontrer cette grande figure de l’athlétisme, et nous avons passé presque une semaine ensemble, avant qu’il ne rentre dans son pays. Il sera de retour en France dans deux semaines. Il nous encourage à agir à tous les niveaux. A notre niveau, on peut tous faire quelque chose pour inverser le cours des choses. C'est ce que j'ai dit hier à mes amis sportifs par rapport à la situation politique qui se pose actuellement en France.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Vous avez chacun marqué l’histoire de votre sport dans votre pays. Votre carrière a-t-elle eu un impact dans sur les jeunes générations ?

 

Abhinav Bindra : Oui. Par exemple, la pratique du tir s'est vraiment développée. Quand j'ai commencé à concourir au niveau national, il y avait environ 200 athlètes en compétition. Et la plupart d'entre eux ont participé aux Jeux en 2008. Et aujourd’hui, si vous vous rendez à nos championnats nationaux, vous verrez environ 15 000 jeunes qui participent. C'est devenu un sport très important dans tout le pays. Davantage d'infrastructures ont été développées. L'équipe de tir reste très forte. Il y a beaucoup de talents en Inde.

 

Pascal Gentil : Concernant votre question sur les nouvelles générations, je pense toujours au moment où j’ai commencé le taekwondo, j'avais 18 ans en 1991. Neuf ans plus tard, je participais aux Jeux Olympiques. J'y ai rapporté ma première médaille. Quatre ans plus tard, j'ai gagné une autre médaille olympique. Pour Pékin, j'ai été blessé un mois avant les Jeux. J'ai arrêté ma carrière en mai 2009. J'ai ensuite pris l'avion pour la Chine, j'ai tenu une conférence de presse et j'ai parlé aux médias. J'ai dit : « J'espère que vous continuerez à vous intéresser au taekwondo ». Aujourd’hui, en France, quand on parle de taekwondo, mon nom est associé à la discipline. Mon souhait est qu’à Paris, nous gagnions une médaille d'or. Nous n'avons pas eu de médaille d'or depuis ma médaille de bronze à Athènes. Les hommes n'ont plus gagné de médailles d’or, tandis que les femmes ont triomphé en 2008, 2012, 2016, et 2021. Aujourd'hui, nous avons deux championnes du monde médaillées d'or, classées première et deuxième au niveau mondial. Elles peuvent remporter la médaille d'or.

Les hommes sont bons, mais nous combattons dans des catégories plus légères, comme les 58 kg et les 68 kg, qui sont très relevées. Les athlètes asiatiques sont très bons dans ces deux catégories. J'ai beaucoup aidé à développer mon sport, en trouvant des sponsors et en m'engageant politiquement pour le promouvoir. Le prince Albert de Monaco est venu assister à mes matchs.

Je suis allé partout pour promouvoir le taekwondo : dans les prisons, les écoles. La société est davantage connectée aux réseaux sociaux aujourd'hui. Les athlètes se concentrent davantage sur les réseaux sociaux et font leur propre promotion, même s'ils n'ont pas gagné.

J’ai toujours voulu mettre sur le devant de la scène mon sport, pas uniquement ma personne. Le taekwondo était la seule fédération sans président, j'ai fait pression pour qu'il y en ait un. Nous en avons un maintenant, un mois avant les J.O.

J'ai fait beaucoup pour mon sport et je continuerai à le soutenir. J'ai été nommé pour le prix de l'intégrité sportive par le CIO, j'ai été ambassadeur du Comité olympique de Paris 2024, et j’ai fait bien d'autres choses encore. Je veux que ces Jeux soient un succès et pour cela tout le monde doit être impliqué. J'ai travaillé avec Aéroports de Paris (ADP), pour engager des volontaires pour les Jeux Olympiques et Paralympiques. Nous nous préparons à accueillir les athlètes, en veillant à ce que nos installations soient prêtes. Ces Jeux Olympiques sont l'occasion de nous améliorer dans l’accueil des athlètes. C'est un grand défi, mais un bon défi, tout comme le fait d'être un athlète.

 

Thomas Mulhaupt : Pour les Jeux futurs, comme ceux potentiellement pour l’Inde en 2036, Abhinav, souhaitez-vous aussi être impliqué ?

 

Abhinav Bindra : Absolument. Je trouve qu'il est très important de rendre au sport ce qu'il vous a donné. J'ai participé à la commission des athlètes du CIO, en me concentrant sur la santé mentale et la prévention. Je travaille beaucoup avec ma fondation pour promouvoir la pratique du sport en Inde. Nous travaillons dans trois domaines, le premier au niveau de la prise en charge. Nous offrons des bourses à 230 jeunes athlètes dans le cadre du programme appelé STEAM. Nous intégrons la science, la technologie, l’ingénierie dans l'entraînement des athlètes et leur proposons des programmes de médecine sportive.

Nous offrons 100 opérations chirurgicales gratuites pour les athlètes blessés, car il y a beaucoup d’athlètes blessés qui n’ont nulle part où aller. Nous nous concentrons également sur l'éducation, en créant un écosystème autour des athlètes. L'un de nos principaux programmes est celui qui concerne l'éducation aux valeurs olympiques, qui promeut l'activité physique et le développement du caractère. Il est mis en œuvre dans 60 000 écoles en Inde, et touche 12 millions d'enfants.

Ce programme a eu un impact important, notamment en incitant davantage de filles à pratiquer une activité sportive. Car dans les écoles en Inde, les filles ne prennent pas part au sport. Quand nous avons commencé le programme, nous avons été confrontés à ce problème. Ainsi nous faisons des équipes mixtes, les garçons ont d'abord résisté, mais ils se sont vite rendu compte que les filles étaient très capables. Cela a eu un impact positif, notamment sur les équipes féminines de football, 64 écoles ont des filles, qui sont souvent capitaines de leurs équipes et la plupart ont été choisies par des garçons. Cela demande beaucoup d'énergie et de temps, mais c'est aussi très motivant et cela me passionne.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Pendant les Jeux Olympiques, l'esprit des Jeux est lié à la paix. Que pensez-vous de cela, d'autant plus que vos sports, le taekwondo et le tir, peuvent être perçus comme violents ou martiaux?

 

Abhinav Bindra : Le tir ne répond pas aux critères d’un sport de combat. Le tir sportif vise un objectif pacifique car c’est un sport qui fait appel à la méditation. Les Jeux Olympiques promeuvent la paix et l’unité, car ils rassemblent toutes les nations, quelles que soient leur origine, leur culture ou leur situation politique. Les athlètes se rassemblent au même endroit dans l'unité autour de valeurs communes.

 

Pascal Gentil : Je me suis concentré sur le soutien aux personnes en raison de mon éducation. En tant qu'ambassadeur de la paix dans le sport, je promeus la paix partout dans le monde. Récemment, nous nous sommes rendus en Arabie saoudite pour promouvoir la paix par le biais du forum « Peace and Sport » avec le pentathlonien Joël Bouzou et le footballeur Didier Drogba.

Bien que nous pratiquions des sports très intenses et spectaculaires, nous nous comportons de manière respectueuse. Le respect envers nos adversaires est crucial car, sans eux, il n'y a pas de match. On ne peut pas s'entraîner complètement seul, on a besoin de partenaires pour tenir les cibles que nos coups doivent atteindre et pour s'entraîner. Le travail d'équipe est essentiel, même si le public ne voit souvent que l'individu sur le podium. Il faut apprendre à rester humble.

 

Thomas Mulhaupt : Quelles sont vos attentes et vos pronostics pour ces Jeux en France ?

 

Abhinav Bindra : Je pense que les sports indiens se développent continuellement et que nous verrons des améliorations significatives dans le nombre de nos médailles. Historiquement, l'Inde n'a pas un palmarès olympique exceptionnel, mais je suis optimiste et je pense que nous dépasserons nos performances passées et que nous obtiendrons un nombre de médailles à deux chiffres. Les Jeux de Paris seront un spectacle visuel sans précédent, avec des épreuves se déroulant dans des lieux emblématiques de la ville. Tout cela sera unique et plus inclusif.

 

Pascal Gentil : Les Jeux seront en effet inclusifs, avec une parité hommes-femmes parmi les athlètes. C'est un grand pas en avant pour l'égalité. De plus, l'innovation consistant à organiser le marathon pour tous et d'autres épreuves dans des lieux emblématiques rendra ces Jeux inoubliables. L'inclusivité et la parité hommes-femmes de ces jeux constituent un précédent.

C'est un message positif qui s'inscrit dans les mouvements mondiaux en faveur de l'égalité. Le marathon, par exemple, aura le même parcours et la même distance pour les hommes et pour les femmes, avec des ajustements en fonction des conditions météorologiques, ce qui en fait une expérience unique. Dans le cadre de mon rôle au sein d'ADP Paris, je suis ravi d'accueillir tous les athlètes et toutes les délégations. Depuis l'arrivée de la flamme olympique à Marseille, l'enthousiasme et le soutien pour les Jeux n'ont cessé de croître.

C'est la première fois que des épreuves comme le marathon se dérouleront dans des lieux aussi célèbres. La cérémonie d'ouverture aura lieu en plein air, le long de la Seine, ce qui en fait les premiers Jeux Olympiques avec une cérémonie en plein air. Pour les athlètes français, le fait de concourir à domicile sera pour eux un immense soutien, cela peut considérablement améliorer leurs performances. La mise en place des sites de compétition, comme l'escrime près de la tour Eiffel, sera spectaculaire.

Cet enthousiasme se reflète dans la communauté française, dont les membres attendent ces Jeux avec impatience. Il s'agit d'un changement important par rapport aux Jeux récents où les athlètes devaient partir immédiatement en raison des restrictions imposées par le COVID-19, comme Tokyo 2021 et Pékin 2022.

Pour ces Jeux de Paris, les athlètes et le public pourront rester sur place et les célébrer ensemble, créant ainsi une atmosphère festive. La fête d'adieu qui suivra la cérémonie de clôture sera un autre moment fort, qui permettra aux athlètes de célébrer ensemble leurs exploits.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Comment seront suivis les Jeux en Inde ?

 

Abhinav Bindra : L’engouement de l'Inde pour ces Jeux sera considérable. Nous nous attendons à une forte participation des touristes et des supporteurs indiens, et les Jeux seront largement diffusés en Inde. De nombreux Indiens suivront les Jeux de près, avec beaucoup d'intérêt et d’enthousiasme. Même à Tokyo, l'intérêt a été immense, et nous nous attendons à ce qu'il le soit encore plus pour Paris 2024.

Par ailleurs, je pense que les Jeux Olympiques de Paris 2024 seront une rencontre de l'humanité pour promouvoir la paix. Il ne s'agit pas seulement de sport, mais aussi de découvrir la ville de Paris, son histoire, sa culture et son art.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : les Jeux vont être rediffusés en Inde ?

 

Oui, et la présence d'une Maison de l'Inde aux Jeux stimulera également l'engagement de chacun. Nous nous attendons à une forte participation des touristes et des supporteurs indiens, et les Jeux seront largement diffusés en Inde. De nombreux Indiens suivront les Jeux de près, avec beaucoup d'intérêt et d’enthousiasme. L’engouement de l'Inde pour ces Jeux sera considérable. Même à Tokyo, l'intérêt a été immense, et nous nous attendons à ce qu'il le soit encore plus pour Paris 2024.

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Abhinav, avez-vous un message en particulier concernant les Jeux ?

 

Abhinav Bindra : En effet, les Jeux Olympiques de Paris 2024 seront une rencontre de l'humanité pour promouvoir la paix. Il ne s'agit pas seulement de sport, mais aussi de découvrir la ville de Paris, son histoire, sa culture et son art.

 

 

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Pascal Gentil (YL 2018 France-Chine) est un ancien taekwondoïste français, connu pour ses nombreux succès en compétition internationale. Il remporte deux médailles de bronze aux Jeux Olympiques, en 2000 à Sydney et en 2004 à Athènes, dans la catégorie des plus de 80 kg. Pascal Gentil est double champion d'Europe, médaillé d’or en 1994 et en 1998, ainsi que champion du monde en 1997 et 2001. En plus de sa carrière sportive, il est engagé dans diverses activités médiatiques et humanitaires. Il est souvent invité en tant que consultant sportif et participe à des actions pour promouvoir le sport et l'éducation auprès des jeunes. Pascal Gentil est aujourd’hui chargé de missions Jeux Olympiques et Paralympiques au sein du Groupe ADP.

 

 

Abhinav Bindra (YL 2023 France-Inde) est un ancien tireur sportif indien, reconnu pour ses performances exceptionnelles en tir à la carabine. Il remporte la médaille d'or aux Jeux Olympiques de 2008 à Pékin dans l'épreuve de carabine à 10 mètres, devenant ainsi le premier Indien à gagner une médaille d'or individuelle aux Jeux Olympiques. Abhinav Bindra a également remporté de nombreuses médailles dans d'autres compétitions internationales, y compris les Championnats du monde et les Jeux du Commonwealth. En plus de sa carrière sportive, il est engagé dans diverses activités philanthropiques et entrepreneuriales. Il a fondé l'Abhinav Bindra Foundation, qui vise à promouvoir le sport et le bien-être des athlètes en Inde.

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