Entretien Nouveaux Regards avec Benoît Guidée

Propos recueillis par Jean-Raphaël Peytregnet

 

Jean-Raphaël Peytregnet : Comment fonctionne la Direction d’Asie et d’Océanie au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, quel est son rôle, quel espace géographique couvre-t-elle, comment s’articule-t-elle par rapport aux autres Directions ?

 

Benoît Guidée : La Direction d’Asie et d’Océanie est une direction géographique du ministère. Elle couvre quatre sous-régions : l’Asie du Nord-Est, du Sud-Est, méridionale et le Pacifique. Concrètement cela veut dire qu’elle couvre un espace qui s’étend de l’Afghanistan jusqu’à la Polynésie, de la Corée du Nord jusqu’à l’Australie. Il s’agit donc d’une zone très variée, différente de celles des autres Directions du ministère. Par exemple celles d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ou d’Europe continentale qui ont une homogénéité beaucoup plus évidente. La deuxième spécificité de la Direction d’Asie et d’Océanie est qu’elle englobe une zone assez éloignée de la métropole mais qui prend une importance croissante dans les relations internationales. La région d’Asie et d’Océanie couvre une zone qui représente environ 35 % du PIB mondial. Elle joue un rôle déterminant sur à peu près tous les sujets aujourd’hui. De ce fait la Direction d’Asie et d’Océanie a connu au cours des dernières années une évolution importante. C’était auparavant plutôt une direction de spécialistes, qui au quotidien, n’était pas toujours au cœur des préoccupations de nos autorités.

 

Aujourd'hui, avec l'importance croissante de la Chine sur l’échiquier mondial, ainsi que celle de toute la région, cette dernière est placée au centre des enjeux principaux pour la diplomatie française. Cela a fait évoluer notre fonctionnement. Nous sommes une Direction qui en train de monter en puissance, avec des effectifs qui s’élèvent aujourd’hui à 50 agents. Ses effectifs ont beaucoup augmenté, notamment ceux en charge de la Chine, même si ce nombre pour s’occuper de l’ensemble de l’Asie, c’est à peu près ce que le Canada, pour ne prendre que cet exemple, emploie pour la Chine seule. C’est une Direction qui est un peu une direction d’état-major, qui n’est pas pléthorique. Ce qui veut dire qu’elle s’appuie pour travailler tout d’abord sur notre réseau d'ambassades. Une des premières missions de la Direction, c’est en effet d’animer le réseau d'ambassades qui constituent notre force de frappe. C’est par ce moyen que nous pouvons avoir une meilleure connaissance de la région et une capacité à apporter des propositions. Deuxième spécificité, les enjeux de l’Asie ne concernent pas exclusivement notre Direction, ils s’étendent à d’autres y compris hors du ministère. Nous travaillons en permanence avec la Direction des affaires stratégiques, de l’Union européenne et de la mondialisation sur les sujets globaux, ainsi qu'avec la Direction des affaires culturelles et la plupart des autres ministères. Nous jouons donc un rôle de plus en plus de pilotage des relations avec l’Asie. Cela ne veut pas dire que nous faisons tout, mais nous sommes les seuls à avoir cette vision d’ensemble et à pouvoir s’assurer qu’il y a une cohérence d’ensemble de la politique de la France vis-à-vis de cette zone, et de chacun de ses pays. C’est particulièrement important, dans le cas d’un pays comme la Chine ou d’un partenaire de plus en plus important comme l’Inde, de s’assurer que nous sommes cohérents sur l’ensemble du spectre de l’action.

 

Il y a aussi quelque chose que nous devons développer de plus en plus : la capacité à prévoir et à anticiper qui devient essentielle : être capable de faire remonter à nos autorités des analyses sur les évolutions de court et de moyen terme dans la zone.

 

Sur ce dernier point, est-ce qu’il n’y a pas une redondance par rapport à ce que fait déjà le Centre d’Analyse, de Prospective et de Stratégie (CAPS) qui est directement rattaché au cabinet du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ?

 

Le travail se fait en harmonie avec le CAPS qui a des ressources en personnel limitées qui font qu’il ne peut pas être sur tous les sujets. Dans les faits, nous travaillons ensemble. Les notes du CAPS ont l’avantage d’avoir une certaine liberté, de pouvoir sortir du cadre. Le travail de notre Direction est davantage de rester dans le cadre de la politique fixée par nos autorités et d’essayer dans celui-ci d’anticiper des évolutions. Chacun joue sa partition et en même temps, il est clair que nous travaillons dans le même sens.

 

Avec le cabinet du ministre, vous avez une relation directe ?

 

Oui, celui-ci a une conseillère pour l’Asie. Nous travaillons en étroite concertation avec le Cabinet. Il va de soi que la politique asiatique, comme il en est de l’ensemble de notre diplomatie, est décidée au niveau politique, allant de la Présidence au cabinet du ministre. Et donc, notre travail consiste à informer nos autorités, à proposer un certain nombre d’options, à faire des propositions, à donner forme à un certain nombre de grandes orientations sur la base de celles qui sont données au niveau politique. Notre tâche principale, comme pour les autres Directions, consiste à préparer les visites et les entretiens officiels de nos autorités avec les partenaires étrangers. C’est un travail quotidien. Mais si nous nous contentons de cela, nous n’avons pas fait grand-chose d’utile ; cela ne constitue qu’une partie de notre mission. C’est pourquoi il existe toute une autre dimension de notre travail sur laquelle nous nous concentrons : l’animation du réseau diplomatique, l’anticipation, la réflexion, et, pour éviter de rester isolés, l’entretien d’un dialogue avec d’autres fonctionnaires, diplomates étrangers, et membres de la société civile. Ces dialogues sont conduits de manière de plus en plus régulière, avec de plus en plus de pays, qu’ils soient asiatiques, européens ou autres, avec lesquels nous échangeons sur nos approches respectives. Une de nos tâches importantes, c’est de proposer à nos autorités un certain nombre d’orientations et d’alerter sur d’éventuels risques, sur les foyers de crise, sur les risques qui pèsent sur nos relations bilatérales avec les pays de la région.

 

Et à ce sujet, il y a la Chine et le reste. L'Asie, c’est 35 % du PIB mondial, la Chine, c’est 18 % et le reste 17 %. On voit bien que la Chine continue de peser de tout son poids et elle est aujourd’hui un des grands défis de notre politique étrangère. Ce pays appelle donc de notre part un suivi très fin, d’autant plus que notre politique vis-à-vis de la Chine est une politique d’équilibre et requiert une cohérence dans la durée. Par ailleurs, il y a d’autres sujets, comme notamment celui de l'Inde, qui est pour nous un partenaire de référence dans la zone et parmi les grands émergents et qui nécessite un suivi particulier. Dans vos fonctions, vous êtes souvent amenés à accompagner le ou la ministre selon les cas, ou à effectuer indépendamment des missions.

 

Oui, dans les visites du niveau président de la République, Premier ministre ou ministres. Indépendamment de celles-ci, j’effectue aussi dans mes fonctions des missions à mon niveau, puisque nous avons mis en place au fil des années tout un ensemble de dialogues avec des partenaires de la région ou extérieurs à celle-ci qui constituent la base de nos relations, et qui nous permettent justement d’avoir ce rôle de tour de contrôle, de s’assurer que les choses avancent sur les projets, que les possibles difficultés sont déminées en amont, etc.

 

Vous mentionniez le cas du Canada, l’importance des effectifs que son ministère des Affaires étrangères met en place pour couvrir cette vaste région que vous nous avez décrite. J’imagine que c’est aussi le cas pour le Royaume-Uni, les États-Unis, et le Japon sans doute également.

 

D’une manière générale, la taille des effectifs consacrée à l’Asie est liée à la façon dont on s’organise, au fait qu’un certain nombre de sujets peuvent être suivis soit par la Direction d’Asie et d'Océanie, Japon, soit par d’autres Directions ou administrations sous un angle thématique. Nous formons une équipe qui est plus resserrée que dans beaucoup d’autres grandes diplomaties. Ce qui veut dire qu’effectivement nos équipes qui travaillent par exemple sur la Chine sont constamment sur le pont. Les effectifs de nos équipes vont toutefois en augmentant. La réalité est que si on prend par exemple le sujet chinois, vu le caractère systémique des enjeux, nous pourrions augmenter à l’infini ces effectifs mais le choix qui est fait est de travailler et de s’organiser plutôt en réseau et de mobiliser autant que nécessaire l’ensemble des ressources de l’État, et encore une fois de s’appuyer au maximum sur nos ambassades.

 

Nous assistons dans la région dont vous avez la charge à des changements assez impressionnants. On observe des reconfigurations, il y a ces tensions sino-américaines qui vont crescendo et qui ne sont toujours pas apaisées et qui ne sont peut-être pas prêtes de l’être avant longtemps étant donné qu’elles concernent deux concurrents dans cette région. L’un veut récupérer son hégémonie d’antan et l’autre conserver son hégémonie actuelle. On voit en même temps des pays comme l’Inde qui émergent, qui s’affirment. L’arrivée de crises telles que l’agression russe de l’Ukraine qui n’a probablement pas été sans conséquences sur votre région. Comment votre Direction s’est adaptée par rapport à toutes ces nouvelles donnes d’ordre géopolitiques et géostratégiques ?

 

Effectivement, nous sommes dans un agenda qui n’est pas spécifique à l’Asie mais où tous les sujets deviennent très politiques et pour la plupart d’entre eux dominés par la rivalité sino-américaine. Nous sommes aujourd’hui dans une période de relative stabilité depuis le sommet de l’APEC de San Francisco en 2023 (rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping). Fondamentalement, la tendance à l’exacerbation de la rivalité est une tendance lourde. Nous nous inscrivons dans une période d’assez long terme, ou en tout cas de moyen terme, de rivalités fortes et qui vont continuer à avoir un impact dans le monde entier et tout particulièrement dans la zone Asie évidemment, sur la structuration de la zone. On se rend compte aujourd’hui que l’Asie ce n’est plus un sujet lointain auquel nous pourrions nous intéresser à nos heures perdues. C’est en fait un sujet qui affecte très directement nos intérêts vitaux, de diverses manières. D’où l’effort porté par la France au sein de l’Union européenne sur la stratégie indopacifique. Nous avons, en effet, été le premier pays européen à porter une telle stratégie. De même que la France a largement œuvré pour l’adoption d’une stratégie européenne pour l’Indopacifique. Des doutes ont pu s’exprimer dans certains pays d’Asie au début de l’agression russe de l’Ukraine, nous avons très clairement dit qu’il n’était pas question pour nous de baisser les bras dans l’Indopacifique parce que les enjeux de sécurité de cette région nous affectaient directement. Nous devons continuer cet effort et celui-ci s’est traduits par les nombreuses visites du président de la République dans la zone ces dernières années. Un effort particulier a été accordé au Pacifique insulaire où le président de la République s’est rendu en juillet 2023, réaffirmant avec force la volonté de la France de rester présente et active dans cette région, ainsi que le montre le triplement de notre aide au développement et l’ouverture d’ambassades (Samoa). Cela montre que nous sommes bien conscients que pour peser dans le monde d’aujourd’hui, il faut peser dans la zone. D’autre part, il en va de la paix mondiale. Les foyers de crises qui pourraient déboucher éventuellement sur un conflit ouvert entre les deux grandes puissances mondiales sont clairement dans cette zone. Autour de la question de Taïwan évidemment, mais aussi de la mer de Chine méridionale et de la péninsule coréenne. Nous avons donc cette conflictualité possible qui pourrait nous concerner, parce que son impact serait extrêmement important pour l’ensemble du monde. Il y a par ailleurs cet élément nouveau qui est l’impact direct de l’action d’un certains pays de la zone sur notre sécurité européenne tel qu’il apparait au travers du conflit ukrainien. L’exemple le plus évident est le soutien militaire ouvert de la Corée du Nord à la Russie. Il n’a pas été vraiment anticipé que la Corée du Nord pouvait jouer un rôle significatif dans le conflit. D’un abord plus complexe, le rôle que joue la Chine vis-à-vis de la Russie est un sujet de préoccupation. Le sujet Russie-Ukraine est devenu un sujet au cœur du dialogue euro-chinois et franco-chinois. Nous observons par ailleurs avec intérêt le rôle d’un pays comme le Japon qui apporte de manière significative un soutien à l’Ukraine. Sur plusieurs aspects, le constat est qu’aujourd’hui en termes de sécurité, de paix internationale et de sécurité européenne, nous sommes obligés de nous poser la question du facteur asiatique. C’est aussi le cas pour la question de la défense d’un ordre international fondé sur les règles du multilatéralisme, du non usage de la force, des droits de l’Homme et de la démocratie même si nous voulons éviter d’entrer dans une logique de blocs, c’est-à-dire de se retrouver avec d’un côté les démocraties et de l’autre les pays autoritaires, ce qui est une vision malsaine de l’ordre international que nous ne portons pas. Dans le même temps, nous voyons bien qu’il y a une remise en cause du système international fondé sur les règles auxquelles nous sommes attachés. Cette remise en cause peut être ouverte et violente avec un pays comme la Russie mais elle peut aussi se faire de manière plus subtile par un pays comme la Chine qui a une vision du monde qu’elle porte et qui, sur un certain nombre de points, nous pose problème. Cela nous amène à avoir une stratégie vis-à-vis de la Chine qui consiste à redoubler d’efforts pour l’engager parce que nous avons besoin de travailler avec ce pays sachant trop bien que nous ne pourrons rien résoudre sans un minimum de coopération de Pékin. Nous ne pouvons donc pas nous priver de ce contact. En même temps ce dialogue doit être extrêmement exigeant et ne doit pas avoir peur du rapport de force si nécessaire. Il faut rééquilibrer cette relation et ce rééquilibrage se fait au niveau de l’Union européenne, si l’on veut peser face à la Chine. C’est sur ce point que nous avons beaucoup avancé au cours de ces dernières années : relancer le dialogue et, de ce point de vue-là, la France est avec l’Allemagne sans doute un des rares grands pays occidentaux à être capable de parler au plus haut niveau à la Chine régulièrement. Pour nous c’est un atout extrêmement important.

 

Mais avec des approches qui ne sont pas forcément identiques ?

 

Tout à fait, comme c’est le cas pour les États-Unis. Mais nous avons tout de même cette capacité d’engager la Chine au plus haut niveau qui me parait extrêmement importante dans le contexte actuel, avec un système chinois qui est de plus en plus centralisé. C’est un dialogue qui est très exigeant sur des questions au sujet desquelles nous avons de vraies préoccupations, comme celles concernant la remise en cause de nos intérêts de sécurité à travers le soutien qui est apporté à la Russie sous diverses formes et à la remise en cause de nos intérêts économiques à travers la problématique des tensions commerciales et des surcapacités industrielles. Ce sont des sujets que nous abordons de manière ouverte tout en essayant de rechercher l’engagement et le dialogue. Cet engagement n’a de sens que si nous sommes capables de peser sur la Chine et pour cela il est nécessaire d’avoir une Union européenne forte et unie. Tout n’est pas parfait mais nous sommes parvenus à atteindre une certaine unité autour du triptyque partenaire, concurrent et rival systémique dans lequel la France se reconnait sans difficulté. Nous ne voyons pas d’incohérence.

 

Un triptyque qui a été plus ou moins adopté par les États-Unis ?

 

Plus ou moins en effet. Sur l’aspect partenaire, nous pensons qu’il ne faut pas le limiter aux seuls enjeux globaux. C’est pour cela qu’au moment de la visite en France de Xi Jinping, nous avons eu une déclaration sur le Proche-Orient. Non pas parce que nous partageons nécessairement les mêmes analyses que la Chine sur ce dossier mais avec pour objectif celui d’essayer de continuer à mettre en avant l’idée qu’il faut essayer d’engager ce pays, de voir si nous pouvons trouver des convergences avec lui au-delà de nos conceptions du monde qui sont assez divergentes. Il y a aussi l’aspect coopération, nous continuons à travailler sur le bilatéral. Quant à la compétition, c’est quelque chose qui est en soi naturel et normal. Il faut simplement que cela soit une compétition régulée et équitable. Notamment sur la question du commerce, où clairement le compte n’y est pas.

 

Il y a enfin la partie rivalité systémique qui pose problème à la Chine mais qui nous parait importante. Il y a une vision qui est portée par la Chine qui nous pose problème, celle du système international. On doit donc avoir cet échange avec la Chine sur la question des droits de l’Homme, sur son soutien à un certain nombre de régimes, d’États qui sont déstabilisateurs sur le plan international, sur son approche du multilatéralisme et de la paix et du maintien de la stabilité dans l’Indopacifique. Notre stratégie de l’Indopacifique se veut non confrontationnelle, elle ne s’inscrit pas dans une logique de blocs. Cela nous amène à d’abord rechercher à travailler avec les pays de la zone sur des partenariats de souveraineté, c’est-à-dire que nous ne nous partons pas des rivalités géopolitiques dans la zone, nous ne les méconnaissons pas évidemment, mais ce n’est pas notre point de départ. Il s’agit au contraire de travailler avec ces pays, de les aider à réduire les dépendances qu’ils peuvent avoir pour renforcer leur souveraineté, leurs capacités à faire des choix souverains. Nous ne leur disons pas qui ils doivent choisir, nous leur apportons des soutiens qui dans le même temps nous aident à renforcer notre autonomie stratégique. C’est le cœur de notre stratégie indopacifique et naturellement nous évitons de nous laisser définir par la rivalité sino-américaine, ce qui ne veut pas dire non plus que nous nous tenons à équidistance.

 

Sur la logique de blocs, au sujet de laquelle notre président s’est exprimé plusieurs fois, est-ce que nous n’assistons pas en particulier en Asie orientale justement à la constitution d’un bloc, étant donné que ces pays qui sont la Corée du Nord, la Chine, la Russie et même si on extrapole, avec le Moyen-Orient, l’Iran, nous voyons bien qu’il y a quelque chose qui est en train de se former contre une cible commune qui sont les États-Unis. L’ennemi pour ces pays, ce sont les États-Unis et pour pouvoir s’opposer à cette superpuissance, même si elle n’est plus aussi puissante qu’auparavant, celle-ci demeure malgré tout pour ces pays gênante dans leur volonté d’expansion.

 

D’abord la logique de blocs n’est pas synonyme d’équidistance, comme je l’ai souligné précédemment. Nous savons très clairement où nous sommes, quels sont nos alliés. Nous ne prétendons pas être au milieu entre la Chine et les États-Unis. Nous sommes membres de l’Union Européenne, le plus vieil allié des États-Unis, un partenaire du Japon, de l’Inde, etc. Nous sommes une démocratie. Nous constatons en effet qu’une logique de blocs est en train de se constituer et c’est pour cela que nous essayons de nous y opposer. Est-ce qu’un bloc est déjà constitué ? Ce n’est pas évident, en tout cas nous n’avons pas intérêt à ce que cela se consolide. De même que certains parlent de la consolidation des BRICS, ce qui n’apparait pas vraiment comme une réalité, mais il est vrai qu’il y a toujours ce risque d’alimenter des logiques. De l’autre côté, il est aussi vrai que du point de vue de Pékin il peut aussi y avoir une

préoccupation de voir AUKUS continuer à se renforcer, le QUAD, les modèles trilatéraux États-Unis/Corée du Sud/Japon et États-Unis/Philippines/Japon, avec en plus des alliances plus technologiques du type « Chips 4 » sur les semi-conducteurs. Il y a cette évolution qui s’autoalimente des deux côtés. Il est évident que la France ne va pas à elle seule modifier ces tendances lourdes mais il y a un certain nombre d’États qui s’interrogent sur les risques. Il y a tout d’abord tous les pays d’Asie du Sud-Est qui sont très mal à l’aise avec ces évolutions et même une nation comme l’Inde qui se positionne fortement face à la Chine mais sans pour autant souhaiter entrer dans une logique qui réduirait ses marges de manœuvre. Cela vaut y compris pour des pays qui s’intègrent de plus en plus dans le périmètre de sécurité américain. Des pays comme le Japon et la Corée du Sud sont bien évidemment très attachés à leurs alliances de sécurité avec les États-Unis. Mais nous voyons aussi une volonté de leur part de diversification. Il y a aussi cette proximité géographique avec la Chine qui les oblige à se dire évitons de nous retrouver dans quelque chose de trop frontal. Il y a effectivement des logiques qui sont assez préoccupantes d’un côté.

 

Est-ce que nous sommes condamnés à voir des blocs se former ? Ce n’est pas notre analyse. Il y a encore des marges de manœuvre. Avec la capacité que nous avons de travailler avec d’autres États, il reste encore possible de créer des espaces permettant de dépasser cette logique de blocs. Par ailleurs, c’est aussi le but du dialogue, celui d’être capable de parler, de ne pas laisser les Américains et les Chinois seuls en tête-à-tête. Notamment les Chinois, en faisant en sorte qu’ils entendent d’autres voix, qu’ils se rendent compte que des pays qui ne sont pas « inféodés » aux États-Unis comme ils pourraient le penser, ont aussi des préoccupations et leurs propres intérêts. Nous ne sommes pas avec la Chine dans une compétition mondiale. Il est clair que notre intérêt est plutôt de trouver un modus vivendi avec la Chine.

 

Au sujet de cet engagement avec la Chine que l’on recherche, prenons par exemple la question du déficit commercial, cela fait des décennies qu’on en parle, que l’on essaie d’avoir des échanges plus égaux, une réciprocité qui n’a pas lieu. Sur la question du partenariat russo-chinois, nous ne sommes toujours pas arrivés à amener la Chine à condamner l’agression russe. Il y a beaucoup de points sur lesquels nous dialoguons avec la Chine, avec la meilleure volonté du monde, mais est-ce que les résultats sont à la hauteur des espoirs que nous plaçons ?

 

Cela dépend des objectifs que l’on se donne, il faut être réaliste. Effectivement, nous n’allons pas pouvoir faire de la Chine un pays affinitaire. Cela dépend aussi des sujets. Je crois que les niveaux de dialogue sont un peu différents. Si l’on prend les grands sujets du moment, il y en a plusieurs, mais si on commence par prendre les sujets qui ont dominé la visite de Xi Jinping en France, qui sont notamment l’Ukraine et les sujets commerciaux. Sur ces derniers, la discussion est vraiment difficile parce que finalement nous avons du mal à inventer un langage commun pour comprendre de quoi on parle. On sent que c’est difficile, nous sommes sur des systèmes économiques qui fonctionnent de manière extrêmement différente.

 

Quand on parle de subventions, on ne parle pas en fait tout à fait de la même chose. Par ailleurs, il est vrai que la Chine s’est sans doute faite à l’idée que les pays européens n’étaient certes pas très contents des déficits, que c’était un problème mais que les capitales européennes pouvaient s’en accommoder. Ce n’est devenu que récemment un sujet bloquant dans la relation. Les autorités chinoises se doivent aujourd’hui de prendre la mesure de la détermination des Européens sur ce sujet. C’est important et c’est pour nous l’un des enjeux aujourd’hui de faire en sorte que nos interlocuteurs chinois comprennent que le sujet aujourd’hui, ce n’est pas la question de savoir si le déficit commercial se creuse un peu ou s’améliore un peu, c’est comment on trouve de nouvelles règles du jeu - comme le président de la République l’avait indiqué - qui assurent une concurrence soutenable et fassent que des pans entiers de l’industrie européenne ne soient pas menacés par des politiques industrielles chinoises à propos desquelles, par ailleurs, nous ne cherchons pas à nous positionner de manière idéologique en criant au scandale mais simplement en disant que cela nous pose un vrai problème aujourd’hui.

 

Il faut que nous prouvions notre détermination, que cela ne peut plus durer et qu’ensuite nous trouvions aussi la voie d’un dialogue avec la Chine sur la façon de régler ce problème, le but n’étant pas une guerre commerciale qui serait destructrice pour les deux côtés. Ce qui a évolué quand même fortement par rapport à il y a quelques années, c’est qu’aujourd’hui sur ces sujets il y a un certain équilibre dans le rapport de force. Il y a de cela quelques années on pouvait considérer que d’une certaine façon l’Europe était plus dépendante économiquement de la Chine que l’inverse.

 

Aujourd’hui nous avons besoin de la Chine et la Chine à besoin de nous. Et il faut le démontrer. Sur l’Ukraine, la Russie, c’est un dialogue qui n’est pas évident mais qui a évolué dans le sens où la Chine a maintenant bien conscience que c’est un sujet vital pour l’Europe, que les Européens sont déterminés, que ce sujet est tellement important pour l’Europe que naturellement le positionnement de la Chine aura un impact sur notre relation. Maintenant, nous voyons bien l’importance de la relation sino-russe, qu’il y a des choix qui ont été faits par les Chinois et que nous ne nous attendons pas à ce que les choses évoluent d’un coup de baguette magique. Il s’agit donc davantage de faire évoluer les positions chinoises à la fois sur la question du soutien à la Russie qui nous pose problème et puis par ailleurs de voir comment la Chine peut aussi avoir un rôle pour, le moment venu, aider à ce que la Russie comprenne qu’il est temps de mettre un terme à son agression.

 

Sur les questions commerciales, est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui : c’est moins la question des déficits que celle de la dépendance, du découplage qui n’a pas lieu mais en tout cas du « de-risking », de l’atténuation des risques, qui a été clairement posée et qui est aujourd’hui appliquée.

 

Je pense qu’il y a les deux. La question des déficits commerciaux est importante parce qu’elle touche à la préservation de nos industries européennes, c’est une question en soi de sécurité économique. A côté de cela, il y a en effet ce sujet complexe du « de-risking » où là aussi nous pouvons avoir des discussions assez serrées avec nos partenaires chinois.

Il nous semble qu’ils ont compris aujourd’hui que le « de-risking » ce n’est pas pour nous du découplage - il n’y a pas d’intérêt de découpler avec la Chine, mais qu’ils doivent s’attendre de notre part à des actions visant à atténuer les risques qu’ils font peser sur nos économies. Il y a donc ce double enjeu de crédibilité, et les Chinois doivent comprendre que nous sommes déterminés. C’est quelque chose qu’ils font d’ailleurs aussi. Nous souhaitons avoir la maîtrise d’un certain nombre d’approvisionnements stratégiques, des « supply chains », des technologies critiques, de manière à réduire notre exposition. C’est une stratégie qui ne vise pas spécifiquement la Chine mais qui néanmoins s’adresse aussi à elle compte tenu de nos trop grandes dépendances vis-à-vis de son marché.

 

C’est une discussion un peu différente de celle que nous avons sur les échanges commerciaux mais qui avance. Et à ce sujet, la France a joué un rôle extrêmement important pour promouvoir cette stratégie dans le cadre de l’Union européenne, de même que dans la mise en place de nos instruments de défense économique, l’instrument anti-coercition, dont les principes ont été adoptés sous la présidence française de l’Union européenne. Nous avons aussi poussé en faveur d’autres instruments qui commencent à être utilisés. Il nous semble important que nous démontrions notre détermination vis-à-vis de la Chine, y compris en ayant recours à ces instruments quand cela nous semble justifié.

 

La France est une puissance de l’Indopacifique par définition à cause de notre ZEE, du nombre de nos compatriotes qui résident dans cette région, des intérêts que nous pouvons y avoir. Même si d’autres pays européens ont mis au point leurs propres stratégies indopacifiques, la France y a quand même un rôle que l’on pourrait qualifier de moteur. De même par rapport à l’Union européenne en tant qu’institution, le fait que notre pays soit quand même doté, membre permanent du Conseil de sécurité, est-ce que cela ne crée pas des tensions ou en tout cas des difficultés pour aligner un langage commun quand on a affaire à des pays asiatiques comme la Chine par exemple ?

 

Concernant la stratégie indopacifique, je pense que notre spécificité réside en effet

sur le fait que nous avons des territoires dans le Pacifique et dans l’océan Indien, que nous y avons une présence militaire, mais elle repose aussi sur des partenariats que nous avons mis en place et qui pour certains peuvent être d’ordre stratégique. Je pense en particulier à notre partenariat stratégique avec l’Inde.

 

Il n’y a pas vraiment d’équivalent parmi les autres pays européens de ce type d’accord sur des sujets fondamentaux concernant un partenaire de premier niveau. Cela nous donne une vraie capacité à peser parce que nous devenons un partenaire qui compte de ce fait. C’est aussi ce qui est en train d’émerger avec l’Indonésie aujourd’hui autour des coopérations de défense mais qui a vocation à s’élargir à des dialogues plus politiques, stratégiques et aussi à d’autres sujets. C’est aussi le cas avec d’autres pays de la zone. Et cela c’est l’un des éléments qui fait la spécificité de la présence française dans l’Indopacifique. Ensuite, effectivement, il y a également cette spécificité que nous pouvons avoir notamment dans notre relation avec la Chine. C’est une dynamique que nous essayons de préserver et qui est de jouer, et c’est vraiment très clair depuis 2017, le jeu européen avec la Chine parce que c’est le bon niveau pour travailler avec ce pays.

 

C’est là que nous avons les leviers, un rapport de force assez équilibré et finalement les Chinois eux-mêmes se rendent compte que c’est ce qui leur permet d’avoir un vrai dialogue. Et nous avons vraiment joué le jeu européen quand le président Xi Jinping est venu en France en mai. A cette occasion, le président de la République a de nouveau invité Ursula Von der Leyen pour que cela ne soit pas juste un dialogue entre la France et la Chine mais qu’à chaque fois nous rappelions que cette politique française de la Chine est inséparable du cadre fixé au niveau européen. C’est essentiel et nous n’avons pas dévié de cette stratégie qui nous a permis de faire bouger les lignes dans notre relation avec la Chine. Dans le même temps, la France a un positionnement un peu particulier vis-à-vis de la Chine, il y a cet héritage de l’histoire.

 

Dont les Chinois savent jouer !

 

En effet, mais cela permet d’avoir un dialogue. L’Allemagne l’a aussi pour des raisons un peu différentes, elle est évidemment beaucoup plus présente économiquement que nous, elle a un poids autre que le nôtre dans les chaînes d’approvisionnement en Chine. Mais voilà, ce sont quand même les deux pays européens qui sont capables d’avoir ce dialogue au plus haut niveau avec le partenaire chinois. Il est aussi vrai que nous utilisons cette spécificité qui nous est propre, cet héritage de l’histoire, ce positionnement sur l’autonomie stratégique. Il ne s’agit pas d’être naïfs, nous voyons bien pourquoi cette spécificité intéresse les Chinois. C’est pour cela aussi que nous nous montrons très clairs sur nos alliances. Dans le même temps, nous renforçons notre dialogue avec les États-Unis sur l’Indopacifique. Il ne s’agit pas de se faire manipuler, mais d’utiliser un certain nombre d’atouts spécifiques à la France. Donc une politique profondément intégrée dans la stratégie européenne mais qui sait aussi utiliser les avantages propres, les atouts dont nous disposons à titre national pour maintenir le dialogue avec la Chine. Et c’est finalement quelque chose qui se révèle plutôt payant.

 

Je sais qu’il y a une volonté très forte de la part de notre président et de la France qu’il représente d’associer le plus possible nos amis allemands à notre action aussi bien vis-à-vis de la Chine qu’avec l’Asie en général. Mais nous sentons quand même une certaine réticence de notre partenaire allemand, en tout cas du chancelier actuel qui ne se montre pas toujours très allant à ce sujet.

 

Il y a certainement un certain nombre de débats un peu partout en Europe sur la façon d’approcher la Chine aujourd’hui. Si nous prenons par exemple les stratégies de chaque pays vis-à-vis de la Chine, dans le dialogue que nous avons avec nos amis allemands, dans l’ensemble nous avons les mêmes analyses et les mêmes approches. Ensuite il y a un calibrage à trouver parce qu’il est vrai que l’Allemagne a une présence économique en Chine qui est extrêmement importante et qui peut l’amener à une certaine prudence sur certains sujets. Il faut donc trouver le bon calibrage. Après, si l’on prend un sujet comme l’Ukraine, ce que le chancelier Scholz a dit quand il est allé en Chine et ce que le président de la République a dit quand Xi Jinping est venu en France, je crois que c’est vraiment la même ligne. Sur la plupart des sujets nous travaillons de manière très étroite avec nos partenaires allemands.

 

En effet, il peut y avoir des positionnements qui peuvent être un peu différents mais il n’y a rien d’insurmontable. Si nous regardons dans la durée, l’Europe est face à la Chine beaucoup plus forte qu’il y a quelques années. On était alors en ordre assez dispersé.

 

Avec quand même des tentatives chinoises de nous diviser ! Je pense par exemple au format 14 + 1.

 

Oui, mais justement, ce format a beaucoup perdu de sa vitalité. Il est quasiment à l’arrêt. Nous avons toujours pensé que ce format n’était pas adéquat et que la Chine petit à petit finirait par le comprendre. Il y a peut-être des avantages à tirer sur le court terme de travailler avec chaque État séparément mais si on regarde de manière un peu plus stratégique, la Chine peut trouver son intérêt à avoir en face d’elle une Europe forte.

 

Nous n’avons pas abordé le sujet de l’ASEAN. On parle beaucoup de sa centralité mais en même temps on voit mal comment celle-ci s’exprime, au sens où cette organisation qui doit son existence à des raisons qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui a quand même pas mal de difficultés à résoudre les conflits, les tensions que l’on observe dans sa zone d’influence.

 

La centralité de l’ASEAN, il y a deux façons d’en parler. La France continue de parler de la centralité de l’ASEAN et à y croire. Non pas parce que l’ASEAN est aujourd’hui centrale dans la zone indopacifique. S’il y avait une centralité elle serait plutôt autour de la Chine. On voit bien les évolutions tectoniques dans la zone, elles se font par rapport à la Chine en symbiose ou en opposition. En revanche, du point de vue de notre stratégie nous voyons un intérêt à ce qu’il y ait cette ambition de centralité. Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous avons un intérêt à aider l’ASEAN à se renforcer et à nous appuyer sur elle au maximum tout en étant réalistes sur ses capacités. Notre stratégie indopacifique se doit d’être inclusive, et l’ASEAN c’est en quelque sorte le seul acteur qui a cette capacité à asseoir tout le monde à la même table, le « convening power », et cela aucun des autres pays de la zone ne le peut.

 

D’une certaine façon, la relative faiblesse de l’ASEAN en termes de « hard power » lui permet en tout cas d’être ce lieu où se réunissent tous les acteurs et ce simple fait nous intéresse quand on pense au Forum indopacifique par exemple, travailler avec l’ASEAN c’est quelque chose d’important. Ensuite, il s’agit d’une région dominée par des grandes puissances qui ont des réflexes assez unilatéraux. L’ASEAN c’est une institution qui partage un ADN assez similaire à celui de l’Union européenne, donc une vision d’un monde où la coopération multilatérale domine, qui reste attachée à la résolution pacifique des conflits.

 

C’est donc une organisation avec laquelle nous trouvons des convergences, avec pas nécessairement les mêmes valeurs, mais avec quand même une vision du monde qui peut nous rapprocher et qui fait que cela nous intéresse de travailler avec ses pays membres. Par ailleurs, l’Asie du Sud-est est aujourd’hui la zone la plus dynamique de la région alors que la Chine économiquement n’est plus la locomotive qu’elle était auparavant. Il y a aussi l’Inde qui joue un rôle important mais qui n’a pas encore cette capacité de prendre le relais. L’ASEAN joue aujourd’hui d’une certaine manière le rôle de catalyseur de la croissance mondiale et est en même temps un lieu d’opportunités.

 

On voit donc un intérêt à travailler avec l’ASEAN. Ensuite se pose la question du niveau auquel on travaille. Faut-il privilégier de travailler avec les États membres ou bien avec l’organisation dans son ensemble ? Avec l’organisation nous le faisons parce que nous ne le faisions pas assez auparavant, nous renforçons cet aspect, mais il est vrai que la réalité de l’ASEAN reste aujourd’hui une association d’États membres. Donc l’effort principal reste porté sur les États membres.

 

Mais avec une Charte qui entrave quelque peu l’Association, à partir du moment où c’est la règle du consensus.

 

Oui, et c’est pour cela qu’il faut investir au niveau de l’Association elle-même mais que la dynamique reste tout de même au niveau de chaque État membre. C’est pour cela qu’aujourd’hui notre effort porte très fortement sur l’Indonésie, il porte aussi beaucoup sur le Vietnam et les Philippines notamment. Nous continuons à entretenir des partenariats bien établis avec Singapour, la Malaisie, la Thaïlande. L’Association, nous nous appuyons dessus, nous travaillons avec, nous essayons d’être présents auprès des États membres qui y prédominent. Je pensais à la Birmanie et aux Philippines. Un conflit majeur et un pays qui est soumis à des tensions extérieures de forte intensité. Les deux situations sont assez différentes.

 

La Birmanie, c’est vraiment un sujet sur lequel l’ensemble de la communauté internationale est d’accord pour dire que c’est l’ASEAN qui doit jouer le rôle premier, ce qui parait assez raisonnable. Mais il est vrai que l’ASEAN a du mal à trouver une solution même si les efforts se poursuivent. Pour ce qui nous concerne, nous nous plaçons en appui de ses efforts. La question de la mer de Chine méridionale est un peu différente parce que finalement l’ASEAN n’a jamais été en tant qu’organisation réellement impliquée. Un certain nombre de pays de la zone ne se sentent pas du tout concernés par le sujet et c’est donc une crise qui n’est pas vraiment traitée dans le cadre de l’ASEAN.

 

Eh bien merci pour ce large tour d’horizon sur la région dont vous avez la responsabilité. Est-ce que vous souhaitez apporter un mot de conclusion ou tout au moins adresser un message aux lecteurs de « Nouveaux Regards sur l’Asie » ?

 

Les crises directes ne sont pas dans la zone Asie aujourd’hui et nous espérons que cela ne sera pas le cas même si des possibilités existent. Aujourd’hui le travail de la Direction d’Asie et d’Océanie n’est pas seulement de se pencher sur les crises asiatiques mais de plus en plus de se pencher sur l’impact de l’Asie sur notre sécurité, notre prospérité, notre réindustrialisation.

 

Nous avons très peu parlé de la Corée et du Japon mais très clairement ce sont des partenaires clefs pour notre réindustrialisation, si on veut parvenir à un leadership sur les sujets technologiques notamment. Nous avons besoin de trouver des partenaires industriels et finalement ceux-là sont en nombre limité, nous les trouvons plutôt dans cette région. On aurait pu aussi traiter de toute une série d’autres sujets, évidemment des sujets globaux, des priorités pour la diplomatie française que sont le climat et la biodiversité.

 

Ces sujets se jouent très largement en Asie. Si j’avais un mot à dire, il y a ce travail traditionnel que nous avons qui est de se pencher sur les risques, les foyers de crise en Asie mais finalement de plus en plus aujourd’hui nous regardons l’impact en dehors de l’Asie, en France, dans l’espace européen, et on se rend compte que beaucoup d’éléments de notre avenir se jouent là-bas.

 

 

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Benoît Guidée

Benoît Guidée est Directeur d'Asie et d'Océanie depuis le 5 avril 2023. Titulaire d'un diplôme de l'Institut d'études politiques de Paris et d'une licence de langue et civilisation chinoises à l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), Benoît Guidée débute sa carrière en 1995 en tant que coopérant du service national puis directeur adjoint de l'antenne ADETEF à Hanoï. Il intègre le Ministère des Affaires Étrangères en 2000, et occupe les fonctions de rédacteur Japon, puis Vietnam, Laos et Cambodge au sein de la Direction d'Asie et d'Océanie, avant d'être deuxième secrétaire à l'ambassade de France à Pékin en 2002. En 2005, il rejoint la Direction des Nations unies et des organisations internationales, puis, en 2007, la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies, (New York) où il est en charge notamment du suivi des questions asiatiques au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale des Nations unies. Il devient ensuite en 2010 conseiller culturel à Tokyo, avant de revenir à la Direction d'Asie et d'Océanie en 2011 en tant que sous-directeur d'Extrême-Orient. Il rejoint en 2012 le cabinet du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, en tant que conseiller Asie-Amériques. De 2015 à 2019, Benoît Guidée dirige le Bureau français de Taipei. Il est ensuite nommé Consul général de France à Shanghai, poste qu'il occupe jusqu'en août 2022. Avant de prendre ses fonctions de directeur d'Asie et d'Océanie, Benoît Guidée occupait les fonctions d'inspecteur des affaires étrangères, et a également participé en tant que rapporteur aux États généraux de la diplomatie.

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